Elle se lance dans la recherche pour sauver sa fille malade

Ornella, 12 ans, est atteinte du syndrome de Sanfilippo. Une maladie orpheline pour laquelle sa mère, Karen Aiach, a engagé des recherches en fondant Lysogène, une société de biotechnologie spécialisée dans la thérapie génique. Entretien.

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Femme d'affaires émérite, Karen Aiach est la mère d'Ornella, 12 ans, atteinte du syndrome de Sanfilippo. Pour cette maladie génétique rare, il n'existe aujourd'hui aucun traitement. En 2009, Karen fonde, avec son mari, la société de biotechnologie Lysogène afin d'engager la recherche et de mettre au point un dispositif de thérapie génique (qui fait appel à l'ADN comme produit pharmaceutique) capable d'agir sur cette pathologie. Grâce à la mobilisation d'une équipe de chercheurs issus de différents pays, Ornella a bénéficié de ce premier traitement en 2011. Une opération bénéfique, principalement sur le plan comportemental. Karen Aiach, toujours à la tête de Lysogène, revient sur ce parcours.

Handicap.fr : Qu'est-ce que le syndrome de Sanfilippo ? Combien de personnes en sont atteintes ?
Karen Aiach : Environ 4 000 enfants dans le monde sont diagnostiqués avec cette maladie. Ils sont peut-être plus nombreux en réalité. Comme l'espérance de vie est d'à peu près 15 ans, elle ne touche que les enfants. Cette maladie d'origine génétique ne peut pas être anticipée dans une famille s'il n'y a pas déjà eu un cas. Elle se caractérise surtout par une atteinte sévère du cerveau de l'enfant. En apparence, le développement semble normal durant un ou deux ans. Il y a, ensuite, régression, notamment sur le plan de l'acquisition des connaissances, de la marche et de la propreté. La maladie s'accompagne également de troubles respiratoires, digestifs et cognitifs dès l'âge de trois ans. À partir de cinq ou six ans, les enfants touchés perdent le langage, présentent des symptômes d'hyperactivité et de gros troubles du sommeil. Du fait de cette hyper sollicitation de l'organisme, les neurones fatiguent ; ce phénomène de dégénération s'amplifie avec le temps. Le décès survient généralement des suites d'une infection respiratoire.

H.fr : Quand Ornella a-t-elle été diagnostiquée ?
K.A : Ma fille avait à peine six mois lorsque nous avons été alertés. Elle a été diagnostiquée sur la base d'un morphotype, c'est-à-dire avec des traits particuliers ; les enfants touchés par cette maladie ont généralement les sourcils épais, le nez un peu rond et les lèvres plus épaisses que la normale. Des signes cliniques annexes ont alerté le pédiatre, qui a envoyé Ornella dans un service spécialisé. Le diagnostic a donc été rapide.

H.fr : Le personnel médical s'est tout de suite montré pessimiste.
K.A : Il n'y avait aucun espoir. En tant que parents, nous avons évidemment vécu une première période traumatique. Nous apprenions que notre enfant allait souffrir, mourir prématurément… Mon mari et moi ne voulions pas nous déclarer battus avant d'avoir essayé de comprendre mieux les caractéristiques de la maladie et de voir si l'on pouvait aider la recherche. Il n'était pas question d'accepter la fatalité. C'est ce qui nous a permis d'avoir la foi suffisante. Nous avons essayé de comprendre le protocole, avant de mettre sur pied Lysogène début 2009.

H.fr : Comment avez-vous vécu ces premières années à la suite du diagnostic ?
K.A : De la naissance d'Ornella, en 2005, jusqu'au moment où elle a reçu le produit de thérapie génique, nous avons vécu les pires années de notre vie. Ornella ne dormait pas, elle était hyperactive, agressive parfois. Nous avions heureusement l'aide de nos parents et d'associations de patients. Ornella a aussi passé 4 ans à l'école maternelle avec une AVS (auxiliaire de vie scolaire), indispensable ; l'Éducation nationale avait choisi d'en faire un « cas ». Je travaillais beaucoup avec la directrice et les enseignants pour montrer à tous l'exemple de ce que peut être la différence. Ornella a ensuite été prise en charge au CESAP (Comité d'études, d'éducation et de soins auprès des personnes polyhandicapées) Les Cerisiers de Rueil-Malmaison (92). Elle est aujourd'hui au centre médico-social de la Fondation Saint-Jean-de-Dieu à Paris (15e), entourée de spécialistes du polyhandicap. Dans cet IME (Institut médico-éducatif), tout est fait pour que les enfants gardent du lien avec les autres mais aussi avec eux-mêmes.

H.fr : Quel parcours avez-vous suivi avant de fonder Lysogène ?
K.A : Mon mari et moi ne connaissions rien à la biologie ou à la neurochirurgie. Nous avons donc entamé des recherches pour poser les bases. Cela nous a pris environ trois ans. Il a également fallu solliciter des investisseurs, mobiliser des équipes de chercheurs… Certains ont été géniaux, d'autres beaucoup moins… Chose intrigante, depuis que nous avons fondé Lysogène, plusieurs groupes pharmaceutiques ont manifesté leur intérêt, notamment en Angleterre et aux États-Unis.

H.fr : En quoi consiste ce dispositif de thérapie génique mis au point par votre société ?
K.A : L'opération a eu lieu en une fois. Trois autres patients en ont bénéficié en 2011 et en 2012, à titre expérimental. Concrètement, elle consiste à déposer dans le cerveau du patient des copies fonctionnelles d'ADN, par milliard, pour coder et exprimer l'enzyme manquante. C'est une méthode très élégante sur le plan biologique car elle implique d'imiter la nature sans modifier l'ADN du patient. En clair, on dépose des gènes, des usines à protéine, et il n'y a pas besoin de revenir dessus car les enzymes en produisent elles-mêmes par la suite.

H.fr : Quels bénéfices cette opération a-t-elle apporté à Ornella ? Comment vit-elle aujourd'hui ?
K.A : Elle est beaucoup plus calme qu'avant. Pour nous, il y a réellement eu un « avant » et un « après ». Après l'opération, Ornella a retrouvé le sommeil et, par conséquent, nous aussi. Dans l'ensemble, son attitude s'est stabilisée. C'est une petite fille souriante, qui a très bon appétit même si elle ne peut pas se nourrir seule (elle n'a jamais été autonome). Elle aime beaucoup sortir et être entourée au sein de son IME.

H.fr : Vous êtes toujours à la tête de Lysogène. D'autres patients s'apprêtent-ils à bénéficier de cette nouvelle thérapie ?
K.A : Depuis ces premières expériences, nous avons tenté d'améliorer le produit pour avoir des vecteurs capables d'exprimer la protéine nécessaire. Nous avons travaillé pour aboutir à ce nouveau produit, une version améliorée du premier. Courant 2018, nous comptons l'administrer à une vingtaine de patients en Europe et aux États-Unis. Nous développons par ailleurs des études précliniques en vue d'un autre produit qui vise cette fois-ci la gangliosidose à GM1, une maladie orpheline rare affectant le cerveau et la moelle épinière. Tout dépendra de nos financements mais nous souhaitons, à terme, étendre notre portefeuille pour élargir la recherche à différentes maladies neurodégénératives.

H.fr : La maladie de Sanfilippo a été découverte en 1963. Comment explique-t-on qu'aucune recherche n'ait été entamée avant la naissance de Lysogène ?
K.A : La rareté de la maladie, sa complexité et le fait qu'elle touche uniquement des enfants constituent trois raisons. Il faut parfois l'intervention de quelqu'un qui a une raison particulière de s'impliquer pour que les lignes bougent… La grande industrie pharmaceutique commence à avoir des problèmes de brevet et s'intéresse de plus en plus aux maladies rares. Disons qu'elle les ignore un peu moins qu'avant. Les plus intelligents comprennent qu'en investissant dans les maladies rares on peut créer de la valeur en générant de l'innovation car nous sommes obligés d'innover lorsqu'aucun traitement ne fonctionne. Nous regrettons seulement de ne pas être plus soutenus, malgré des investisseurs sérieux. Il existe encore un gouffre entre les petites entreprises et la grosse industrie pharmaceutique.

© Lysogène

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Aimée Le Goff, journaliste Handicap.fr"
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