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Médecin de guerre : 10 min pour sauver un soldat blessé !

Dans un livre palpitant, Elie-Paul Cohen livre ses souvenirs de médecin de guerre en Afghanistan. Polytraumatisés, amputés, militaires et civils, ils sont le visage d'un conflit sans front. Immersion au coeur de l'urgence !

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Illustration article Médecin de guerre : 10 min pour sauver un soldat blessé !

Handicap.fr : A 20 ans, exempté de service militaire et, à 56 ans, médecin urgentiste en Afghanistan, c'est ce parcours atypique que vous racontez dans « Médecin de guerre, de l'Afghanistan à Paris. La guerre sans front », paru en mai 2016 (fiche librairie en lien ci-dessous).
Elie-Paul Cohen : À vingt ans, j'étais en effet un idéaliste, antimilitariste, et je ne vivais que pour la musique qui a été mon premier métier. Je me suis alors arrangé pour me faire exempter de service militaire. Trente ans plus tard, médecin urgentiste, je suis recruté par un drôle de hasard par l'armée française et envoyé à Camp Bastion, la base militaire américano-britannique, dans la zone la plus meurtrière de l'Afghanistan. Nous sommes en 2011. Ma mission est d'importer dans l'armée française le Damage Control Resuscitation, des protocoles de pointe développés par nos collègues Britanniques dans le pays, permettant de sauver les polytraumatisés de guerre.

H.fr : A quoi ressemblait votre quotidien en tant que médecin urgentiste ?
EPC : Le fléau, c'étaient les mines. Nous étions dans une zone de combat intense avec un flux continu de gros blessés, beaucoup de polytraumatisés, des membres déchiquetés des simples, des doubles, des triples amputations. En moyenne, quatre par jour. Il m'est impossible d'effacer de ma mémoire les images de ces corps inanimés, couverts de sang et déformés par les explosions. Véritables morceaux de viande malodorants, pourris de brûlures, la chaleur du climat n'arrangeant rien. En médecine de guerre, il faut intervenir très vite, tout se joue dans les 10 premières minutes ; on appelle cela les Golden hours.

H.fr : Cette base militaire disposait des équipements nécessaires ?
EPC : Oui, en effet. Sur les zones de combats aussi intenses, ce ne sont pas des hôpitaux de brousse. Nous bénéficions du matériel de pointe et des équipes les plus aguerries. Pour vous donner un ordre d'idée, la base de Camp Bastion était aussi vaste que la ville de Bordeaux et, chaque jour, 650 avions décollaient de son aéroport, aussi actif que celui de Gatwick, à Londres. Deux cent cinquante personnes travaillaient dans son hôpital, jour et nuit avec, à leur disposition, la modernité et la technicité d'un hôpital parisien ou londonien. Quelque part dans le désert d'Helmand…

H.fr : Vous vous demandez à un moment : pourquoi l'armée prend-elle le parti de sauver à tout prix, vue la vie promise à certains de ces jeunes soldats…
EPC : Oui, je me suis posé cette question. C'est une question d'éthique. Nous sommes avant tout médecins. D'un autre côté, l'opinion publique et les médias européens étant globalement contre la guerre, il vaut mieux éviter les morts. Les blessés, on en reparlera plus tard…

H.fr : Vous prétendez d'ailleurs que le but des insurgés n'était pas forcément de tuer…
EPC : Leur objectif était aussi de marquer l'esprit des troupes, de leurs familles et de l'opinion publique européenne et américaine. Le handicap visible fait en quelque sorte office de propagande. C'était aussi une guerre des nerfs…

H.fr : Dans ce contexte, le personnel médical n'est pas à l'abri…
EPC : Non, bien au contraire, car porter atteinte à ceux qui sont censés être là pour les sauver impacte durablement le moral des troupes. Nous sommes donc des cibles privilégiées pour l'ennemi et, à ce titre, entraînés au métier des armes.

H.fr : Vous étiez sur place pour soigner les soldats mais quel était le sort réservé aux civils ?
EPC : Les centaines de milliers de victimes pendant la seconde guerre d'Irak montrent que le rapport entre les pertes militaires et civiles s'est inversé, au détriment de ces dernières. Egalement à cause d'une nouvelle manière de combattre. Les guerres d'aujourd'hui sont asymétriques et « sans front », d'où le sous-titre de mon livre.  Par certains côtés, elles ressemblent presque à un jeu vidéo, où des militaires informaticiens, pilotes d'avions par écran d'ordinateur interposé, enfermés dans un bunker du Nevada, vont bombarder des cibles à plusieurs milliers de kilomètres. Malheureusement, les populations locales massivement touchées sont souvent les otages de ces conflits.

H.fr : Vous dites avoir vu des enfants afghans amputés par des mines…
EPC : Oui, elles explosaient dans leurs mains alors qu'ils jouaient avec. Leur destin est plus cruel encore car, pour peu qu'ils survivent, l'avenir de ces êtres mutilés à vie est dramatique. Dans ces cultures tribales, le handicap est rejeté. Ils finiront mendiants.

H.fr : Il y a les blessures physiques mais les séquelles psychiques ne sont-elles pas plus douloureuses encore ?
EPC : Oui en effet, et les armées sont aujourd'hui très sensibles aux traumatismes post-opérationnels. Les Poilus de la grande guerre n'ont, eux, pas eu cette « chance ». Beaucoup ont atterri dans les asiles une fois les hostilités terminées. Désormais, dans ce contexte hostile, il faut veiller à l'équilibre mental des soldats en essayant de repérer les dysfonctions psychiques dès leur apparition car plus tôt se fera la prise en charge meilleurs seront les résultats. La psychiatrie militaire française, qui n'a reconnu ces traumatismes psychiques qu'en 1992, les appelle les « blessures invisibles. »

H.fr : On prétend que les guerres permettent de grandes avancées en matière de prise en charge du handicap. Faut-il vraiment en passer par-là ?
EPC : Disons que, dans leur malheur, elles ont toujours fait progresser la médecine et la chirurgie. Il faut se souvenir que c'est Larrey, le chirurgien de Napoléon, qui a inventé l'ancêtre du Samu. C'est ensuite durant la première guerre mondiale que l'on a expérimenté la chirurgie réparatrice sur les Gueules cassées et la neurochirurgie. Ensuite, la réanimation et les antibiotiques furent mises en place durant le 2e conflit mondial. A Camp Bastion, j'étais immergé dans un véritable laboratoire de médecine de guerre.

H.fr : Ce qui signifie que tout ce que vous avez expérimenté sera un jour réinvesti dans des hôpitaux civils, notamment pour prendre en charge les  victimes d'attentats ?
EPC : Oui, certainement, dans les années à venir. Camp Bastion a été un lieu d'expérimentation pour le futur. A la suite de mon rapport, le Damage Control Resuscitation est à présent enseigné en France dans les cursus universitaires de médecine d'urgence et ses principes sont en effet utilisés pour traiter les victimes des attentats, preuve que cette « guerre sans front » nous a rejoints. Celle d'Afghanistan devait pourtant tuer le terrorisme dans l'œuf ; il s'est au contraire répandu au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe. Ironiquement, de mon côté, j'aurai peut-être été projeté dans cet enfer pour la bonne cause… Vue sous cet angle, ma mission a pris une autre signification et aura été utile en apportant une pierre à l'édifice médical. Les soignants sont là pour minimiser les effets collatéraux des guerres et de leur violence légalisée.

H.fr : Avez-vous des exemples d'innovations qui pourraient profiter au monde civil ?
EPC : Les Américains ont, par exemple, investi des millions de dollars dans les neurosciences, les nanotechnologies et la mécatronique. Des membres artificiels reliés au cerveau par des systèmes informatiques sophistiqués et miniaturisés, véritables prothèses intelligentes, pourront aider des para et tétraplégiques à remarcher. Et, dans un avenir plus lointain, avec des cellules souches, on peut imaginer cultiver les tissus pour reconstituer des muscles, des os, voire des organes en pratiquant des autogreffes. Pour autant, l'être humain réparé ou amélioré par les biotechnologies et l'intelligence artificielle se comportera-t-il différemment ? Rien n'est moins sûr…

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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