Handicap.fr : Militante APF (Association des paralysés de France) depuis plusieurs années, vous témoignez aujourd'hui de vos désillusions… Quel est votre parcours ?
Odile Maurin : Moi-même en situation de handicap, j'ai adhéré à l'APF en 2008 alors que je présidais Handi-Social puis, à la demande de l'APF, j'ai présenté ma candidature comme représentante départementale du 31 (Haute-Garonne) et été élue en 2013, accordant un temps considérable à la défense des droits des personnes handicapées. Mais, fin 2015, lorsque j'ai commencé à émettre de plus en plus de critiques sur certains dysfonctionnements et le manque de réactivité des équipes dirigeantes de l'APF, ça n'a pas visiblement pas plu…
H.fr : Vous en avez donc été exclue. Pour quelle raison ?
OM : Cela s'est fait en plusieurs étapes. Entre autre parce que, avec 19 autres élus, nous avons décidé de mettre les mains dans le cambouis et de rédiger un manifeste (en lien ci-dessous) qui avait pour objectif d'engager un débat entre élus et militants pour proposer, lors de la prochaine Assemblée générale, une organisation plus démocratique et participative. Son titre : « Réformons nos statuts pour une APF militante ». Le 14 décembre 2015, j'ai reçu une lettre d'exclusion pour « motifs graves » !
H.fr : Vous n'êtes pas la seule dans ce cas ?
OM : Non, je ne suis pas la première à être exclue mais les autres sont passés sous silence. Il y a de plus en plus de clashs, et d'autres camarades subissent des pressions parfois importantes, alors que la « démocratie » est à toutes les lignes des chartes et autres documents APF. Il y a de la richesse dans notre association, qu'on n'utilise pas, ce qui engendre une forte colère en interne. Il faut vraiment mener un travail de fond et cesser aussi d'envoyer des adhérents sans formation suffisante dans les diverses commissions pour jouer les potiches.
H.fr : L'idée d'un débat interne n'a donc pas été retenue…
OM : Apparemment. Pourtant il n'y avait, dans nos actions, aucune volonté de nuire à l'association, à ses membres ou aux personnes en situation de handicap. Plus de 70 élus et militants APF, aujourd'hui considérés comme des frondeurs, ont signé l'une des deux versions de notre manifeste. Hélas, ils subissent des représailles, sont poussés à la démission (4 élus dans le 26) ou exclus de groupes nationaux comme le représentant départemental de l'Ariège, viré par un salarié avec l'accord du conseil d'administration car il nous avait apporté son soutien. Ces manifestes ne faisaient qu'exprimer des constats et des interrogations que partagent de très nombreux membres de l'association. Parce que l'APF joue un rôle central pour les droits des personnes en situation de handicap, parce qu'elle est un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, elle doit revoir son fonctionnement démocratique, mettre réellement en œuvre son projet associatif et cesser d'exclure ou de décourager les militants. Il faut arrêter de contester sur le papier pour mener de vraies actions sur le terrain. Nous sommes écoutés par les pouvoirs publics locaux alors pourquoi pas au niveau national ? Il devient urgent d'instaurer un autre rapport avec eux.
H.fr : Vous estimez que les forces vives sur le terrain ne sont pas assez entendues et mobilisées ?
OM : Oui, un exemple : l'ordonnance sur le report d'accessibilité, un retour en arrière catastrophique et scandaleux, qui a finalement été adoptée. La mobilisation de notre association n'a pas été à la hauteur de l'enjeu. Sans en rejeter l'entière responsabilité sur la direction nationale de l'APF, nous avons constaté que les moyens nationaux engagés dans ce combat étaient réduits, en termes de personnes notamment, que les mots d'ordre ont tardé à descendre de Paris, que le terrain n'a pas été soutenu et que l'information et l'expertise de terrain avaient du mal à remonter.
H.fr : Vous n'y allez pas de main morte sur ce que vous appelez le « pouvoir centralisé ».
OM : Oui, c'est un fait. Je déplore que le mouvement APF soit aussi centralisé, avec une direction et des administrateurs centrés principalement sur la gestion, repliés dans leur tour d'ivoire, méconnaissant les problématiques du terrain, incapables de répondre aux questions des élus du terrain, ne sachant pas impulser une dynamique militante et vraiment revendicative et pratiquant un semblant de démocratie lors d'assemblées générales stérilisées.
H.fr : C'est pourquoi, le 8 janvier 2016, vous mettez en ligne une pétition (en lien ci-dessous) qui a déjà rassemblé 1 275 soutiens sur les 1 500 escomptés…
OM : Oui, elle est intitulée « Défense des handicapés = stop exclusion et APF démocratique militante revendicative ! » et est adressée aux administrateurs et au président de l'APF. Notre objectif est qu'elle grossisse suffisamment pour que la majorité des adhérents en entendent parler et la signent. Nous pourrons, par ce biais, les contacter en vue de l'Assemblée générale du 25 juin 2016 afin de leur proposer de voter notre motion pour une réforme des statuts et de l'organisation démocratique. Il y en a assez des AG avec 300 adhérents présents sur 23 000 !
H.fr : Pour que cette pétition soit accessible à tous, vous avez même multiplié les versions. Impossible de ne pas comprendre !
OM : Oui, en LSF (langue des signes), audio sur mon site, FALC (facile à lire et à comprendre) et même en vidéo pour ceux qui ne lisent pas.
H.fr : Qu'attendez-vous de cette interpellation ?
OM : Que l'APF soit une association revendicative car, contrairement à ce que prétendent certaines petites associations, on peut évidemment être à la fois gestionnaire et militant mais à condition de cesser de s'autocensurer avec les pouvoirs publics, d'être capable d'instaurer un rapport de force avec eux tout en étant capable d'apporter une expertise argumentée car ils ont finalement plus besoin de nous que le contraire. Nous devons cesser d'accepter la maltraitance institutionnelle grandissante dans les établissements et renvoyer les pouvoirs publics à leurs responsabilités et au respect des Droits de l'homme pour tous.
H.fr : Vous avez décidé de contester votre exclusion devant la justice.
OM : Oui, parfois il n'y a pas d'autre choix que d'utiliser le levier juridique et se résoudre à attaquer même lorsqu'on n'a pas la « culture du contentieux ». Mon avocat a donc sollicité une audience pour faire annuler mon exclusion, en contestant à la fois le fond et la forme ; elle a apparemment été jugée recevable. Je réclame ma réintégration et un euro symbolique en guise de dommages et intérêts. L'audience aura lieu le 17 mars 2016 au Tribunal de grande instance de Toulouse. C'est un pari un peu fou de s'attaquer à une organisation aussi puissante… Un peu David contre Goliath. Mais c'est aussi cela l'esprit fondateur de l'APF, auquel je reste fidèle : risquer l'impossible !