« L'enfer, c'est les autres, disait Sartre, c'est ce que peuvent ressentir les personnes atteintes de maladies psychiques », selon Michel Hamon, président du comité scientifique de l'Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques). Il tente de montrer à quoi ressemble le quotidien des personnes schizophrènes. Hallucinations auditives, crises de paranoïa... Le parcours du combattant ; se battre contre sa maladie mais aussi contre les stéréotypes associés. Vaincre la stigmatisation des maladies psychiques, c'était le thème du colloque organisé par l'Unafam le 30 octobre 2018, au sein du ministère de la Santé, qui affirme que le combat doit être universel et immédiat.
Un univers parallèle
« Lorsque j'étais dans les transports, j'avais l'impression que tout le monde me regardait et se moquait de moi. Une voix résonnait dans ma tête et me disait que les gens me voulaient mal », raconte Florent Babillotte à un public particulièrement attentif. « Une fois, j'ai cru qu'un homme en costume m'avait suivi toute la journée. J'étais persuadé qu'il voulait s'en prendre à moi, il ne me lâchait pas. J'ai compris, plus tard, que ce n'était pas la même personne et que la ville était bourrée d'hommes en costard. Depuis, j'ai une aversion pour les gens en costume ! », plaisante-t-il. Florent a une enfance paisible ; c'est à l'adolescence que tout se complique. Entre 13 et 24 ans, il fait plusieurs « crises de bouffées délirantes aigües ». « Mes parents pensaient que j'étais en pleine crise d'ado car je restais des heures enfermé dans ma chambre. En réalité, j'avais honte et peur qu'on me prenne pour un fou », avoue-t-il. Les semaines passent, les mois, les crises vont crescendo. Jusqu'au jour où il en vient aux mains avec son père. « Il était militaire et, lorsqu'il partait en mission au Brésil, je m'imaginais qu'il menait une double vie, avec de beaux-enfants, confie-t-il. On est vraiment dans un univers parallèle. »
Chacun sa thérapie
Cet épisode le mènera en hôpital psychiatrique quelques jours plus tard. « Là-bas, on ne m'a pas expliqué ce qu'était ma maladie donc j'en avais une perception négative, erronée. J'ai même fait une dépression, se souvient le jeune homme. Et puis, un beau jour, ma mère m'a mis un gros coup de pied au 'cul' et elle a eu raison ! » Pour lui redonner confiance, elle liste des personnes d'exception atteintes de la même maladie. Et là, c'est le déclic : « C'est vrai ça, même Van Gogh ? ». La schizophrénie devient alors une force créatrice. Florent écrit deux livres, dont un roman. « C'était ma thérapie à moi car, à l'époque, j'avais du mal à me confier aux psychiatres », poursuit-il. Son autre remède, le sport, pour les valeurs qu'il véhicule : combativité et dépassement de soi. « Quand ma perception de la maladie a changé, tout a changé. Je ne faisais plus de sieste de trois heures, je voulais retourner au travail », se souvient-il. Un tournant décisif pour sa carrière -il reprend une formation d'aide-soignant- mais aussi pour l'opinion qu'il a de lui-même.
Une stigmatisation en hausse
Pour le psychiatre Jean-Yves Giordana, qui prend la parole lors de ce colloque, la stigmatisation est la « diminution du respect des personnes ». La crainte et la peur de la maladie tiennent les gens à distance. Une attitude en perpétuelle croissance ces dix dernières années. Il estime que la pire stigmatisation « c'est celle que les patients s'infligent à eux-mêmes ». Il explique : « La prise en charge de la schizophrénie est déterminante les deux ou trois premières années. Or les personnes qui en souffrent ont peur de se faire diagnostiquer à cause des préjugés. » Certains expliquent redouter de 'passer pour des fous' ». La vision du grand public a donc un impact direct dans le processus de soin des patients. Plus il véhiculera des messages négatifs et erronés, plus les malades cacheront leur schizophrénie et moins ils pourront être accompagnés.
Medias : courroie de transmission
Pour que les mentalités évoluent, ce combat doit être collectif. Chacun, à son échelle, peut contribuer à changer le regard que l'on porte sur la schizophrénie. Les politiques et les medias ont une large part de responsabilité dans ce domaine, utilisant ce mot à tort et à travers pour donner une dimension « sensationnelle » à leur propos. Sandrine Cabut, médecin et journaliste au Monde, admet un « mésusage du terme dans les medias. Le sens métaphorique est beaucoup plus utilisé que le sens médical. ». Elle relève également la tonalité négative relayée par ses confrères. Des comportements qui entretiennent le cliché du schizophrène considéré comme une personne dangereuse, parfois un psychopathe. « Dans 58 % des articles de presse quotidienne régionale, il est associé à la violence, pourtant seulement 0,2 % des crimes sont perpétrés par des schizophrènes, c'est un risque équivalent à celui d'être frappé par la foudre. Ils sont bien loin de l'image de 'monstre' qui ressort parfois dans les journaux », rappelle la journaliste. Pour y remédier, elle préconise une vigilance collective : « En tant que medias, nous sommes une courroie de transmission du message, nous ne devons plus accepter que les politiques utilisent ce terme comme bon leur semble, et encore moins le relayer. » Elle souligne l'importance de l'éducation des medias par le biais d'associations comme celle des journalistes pour une information responsable en psychiatrie (Ajirpsy) et propose de valoriser les contenus positifs à l'égard des personnes atteintes de maladies psychiques.
Des actions de sensibilisation
La sensibilisation apparait comme un enjeu majeur. Plusieurs campagnes ont été menées ces dernières années. Récemment, Anne-Caron Déglise, magistrate et avocate à la première chambre de la Cour de Cassation, a été chargée d'une mission interministérielle sur l'évolution de la protection juridique des personnes (en lien ci-dessous), qui concerne, notamment, les personnes atteintes de maladie psychique. Son rapport fait 104 propositions pour « reconnaître, soutenir et protéger les plus vulnérables ». « Le travail de reconnaissance des personnes et de l'expression de leurs volontés est encore à construire. C'est à vous de continuer à mener les combats, notamment en décloisonnant les termes », apostrophe-t-elle l'assemblée.
« Plus on est diagnostiqué tard, plus c'est difficile, admet Florent Babillotte, mais il faut toujours garder espoir. Lorsque j'étais en hôpital psychiatrique, je me répétais : 'Tu vas t'en sortir !' ». Une méthode Coué gagnante puisque cet homme de 38 ans a fait sa dernière crise à 24 ans. Il conclut son allocution par une formule pleine d'espoir : « Rien n'est impossible ! N'oubliez jamais cela ». Un message qui vaut pour tous…