Maudy Piot : les femmes handicapées victimes de maltraitance

Elles sont femmes et handicapées, victimes potentielles et à double titre de la violence ordinaire. Maudy Piot, psychanalyste et présidente de l'association ' Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir ', dénonce un tabou qui toucherait 1 femme sur 3.

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Handicap.fr : Vous prétendez que les femmes handicapées sont plus victimes de violence que les autres. C'est ce qui motive la tenue d'un colloque sur ce thème le 19 juin prochain à Paris...
Maudy Piot :
Même si la vulnérabilité ne doit pas être quelque chose qui nous identifie, il est indéniable que les personnes handicapées ont moins que les autres les moyens de se protéger -comment une aveugle peut-elle reconnaître son agresseur, comment une femme en fauteuil peut-elle se défendre ?- ce qui encourage les actes de violence.

H : Dans la sphère privée, les femmes handicapées sont-elle davantage victimes que les autres ?
MP :
Je n'ai que deux chiffres à vous citer : 1 femme sur 10 dite « valide » est susceptible d'être victime d'agressions sexuelles ou de maltraitance au sein de sa famille, et 1 sur 3 pour les femmes handicapées. Tout est dit !

H : Pourquoi de tels abus ?
MP :
Parce qu'avoir un membre de sa famille handicapé suscite une immense compassion doublée d'agressivité. Et lorsqu'on ne la supporte plus, on est tenté de lui faire subir toutes formes de violences, à la fois physiques et psychologiques : une femme enfermée dans sa chambre, une autre qu'on prive de son téléphone portable ou encore une personne en fauteuil à qui l'on crève les pneus pour qu'elle ne puisse plus bouger.

H : Auraient-elles un seuil de tolérance plus grand face à la douleur ?
MP :
Oui sans doute, surtout chez celles qui sont handicapées de naissance. Elles se sont accoutumées à vivre dans la souffrance corporelle : les transferts, les manipulations, les perfusions, les immobilisations... Elles se disent « Je souffre donc j'existe » et ne sont plus à une douleur près...

H : Au sein du couple, peut-on craindre des débordements ?
MP :
C'est évident. Certains hommes choisissent même sciemment une femme handicapée à la fois pour se donner bonne conscience et parce qu'ils vont pouvoir la dominer. Lors de notre colloque du 19 juin, nous aborderons d'ailleurs ce thème du « Choix de l'homme violent ». Le processus de violence s'élabore toujours de la même façon : d'abord de la gentillesse, puis des injures verbales, ensuite de la pitié et enfin des agressions physiques.

H : Comment les victimes peuvent-elles se défendre ?
MP :
Le plus terrible, c'est que bien souvent, elles font preuve d'une totale soumission, déjà bien heureuses vu leur « état » qu'un homme les aient choisies. Elles refusent de porter plainte car elles ont peur d'être abandonnées. Le handicap engendre une grande dépendance morale et ces femmes s'enferment dans un discours de dévalorisation.

H : A qui peuvent-elles s'adresser ?
MP :
Il existe un numéro national pour les femmes battues : le 3919. Notre association reçoit également quelques témoignages et nous proposerons bientôt des groupes de parole sur ce thème. Et, bien entendu, la Police, les mairies, les services sociaux.

H : Qu'en est-il de la situation dans les établissements ?
MP :
Ce type de scandales fait parfois la Une des journaux. Les femmes handicapées mentales sont les premières touchées. Elles ne se plaignent pas, leur famille non plus, par peur d'être renvoyées de l'institution. Je connais une jeune femme qui était victime d'attouchements lors de la douche mais qui m'a suppliée de n'en parler à personne. Mais la violence c'est aussi le fait de leur ligaturer les trompes pour les empêcher d'avoir des enfants.

H : Les hommes handicapés sont-ils eux aussi victimes de maltraitance ?
MP :
Oui bien sûr, surtout les ados, notamment lors d'abus sexuels, mais dans une moindre proportion. Je dirais un tiers d'hommes pour deux tiers de femmes.

H : La presse ou l'opinion publique ne s'émeuvent-elle pas de cette violence faite aux femmes handicapées ?
MP :
Pas vraiment ! La plupart des gens ne s'imagine d'ailleurs même pas que cela puisse exister. Dans le fantasme collectif, elles attirent forcément la gentillesse et la compassion. La plupart des victimes ne portent pas plainte car elles pensent qu'elles ne seront pas crues. Je connais le cas d'une personne qui était allée à la gendarmerie. On lui a répondu : « Handicapée comme vous êtes, ce n'est pas possible qu'on vous ait battue ! ».

H : Mais votre association, Femme pour le dire, femme pour agir, n'a-t-elle pas un impact dans ce domaine ?
MP :
On n'intéresse personne au niveau des pouvoirs publics. Les enfants ou les artistes handicapés, oui ! Mais nous, les femmes lambda, nous sommes les reines de l'invisible. Nous sommes certaines qu'aucun magazine féminin ne sera présent à notre colloque. Ce n'est pas terrible une femme handicapée pour ces promoteurs de la beauté ! Cette année, la violence faite aux femmes a été déclarée grande cause nationale et prévoit une campagne télévisée sur ce thème. J'ai demandé à ce qu'un spot mette en scène une femme handicapée mais je suis certaine qu'il n'y en aura pas.

H : Seulement 230 adhérentes mais vous faites pourtant beaucoup de bruit !
MP :
Oui les gens sont étonnés que nous ayons autant d'idées. Je suis souvent admirée mais ça m'est égal. J'ai besoin de deux choses : d'être considérée comme une citoyenne à part entière (Maudy Piot est aveugle) ... et d'argent ! Nous ne sommes vraiment pas sorties de l'auberge et nous risquons de disparaître si nous ne trouvons pas les financements nécessaires. Nous n'avons aucune subvention régulière, à part celle de la Mairie de Paris.

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