« Il désigne des bouteilles vides. Il ouvre le placard et attrape une bonbonne. Jean est de retour avec un plateau vide. Paul observe son verre. Ils trinquent. » Les cinéphiles reconnaitront-ils, dans ce scénario, une des scènes les plus emblématiques des Tontons flingueurs ? Vu et revue mais certainement jamais « écoutée » ! Car, l'image peut parfois se transformer en son. C'est le principe de l'audiodescription qui permet aux non-voyants de suivre un film sur grand écran ou toute autre forme de spectacle. Le procédé est simple : un ou deux audiodescripteurs (en général un homme et une femme) enregistrent une bande son dans laquelle ils décrivent le détail des scènes, et qui vient s'intercaler entre les répliques. Cette bande est le plus souvent diffusée dans des casques sans fil pour ne pas gêner les autres spectateurs. Dans certains théâtres, les commentaires sont également « diffusés » en direct, ce qui laisse davantage de liberté aux audiodescripteurs pour s'adapter au tempo du spectacle.
De véritables comédiens
Ce concept repose sur le principe que notre cerveau est capable de créer des images. Les paroles sont même souvent bien plus suggestives... Il faut évidemment que l'audiodescripteur soit capable de tenir son public en haleine : un véritable comédien qui intègre le film à sa façon et doit pouvoir suggérer et donner du sens aux descriptions les plus banales comme aux émotions les plus fortes. Et surtout définir les priorités de l'action pour ne pas noyer l'auditeur dans une salve de détails superflus, en toute objectivité, sans jamais dénaturer l'œuvre initiale.
Une idée de Coppola
L'audiodescription a été mise au point par Gregory Frazier, un jeune enseignant à l'Université de San Francisco, en voyant son meilleur ami aveugle se faire décrire les images des programmes télé par sa femme. Il élabore alors une technique plus « professionnelle » adaptée aussi bien au cinéma qu'au théâtre. Dans un premier temps, son travail ne suscite guère d'intérêt de la part de ses collègues et du monde du spectacle. Mais la rencontre avec le nouveau doyen de l'université de San Francisco, va tout changer. Ce n'est autre qu'Auguste Coppola, frère du célèbre réalisateur Francis et père de Nicolas Cage. Emballé par le procédé, il favorise son développement à la télévision et au cinéma. Le premier film en audiodescription présenté aux aveugles est Tucker de Francis Ford Coppola, en 1988.
Au théâtre, en DVD, en spectacle ...
Parallèlement, Auguste Coppola et Gregory Frazier organisent la formation d'étudiants étrangers à l'audiodescription. Les Français seront les premiers à en bénéficier. Ils confient à l'Association Valentin Haüy (AVH) l'exclusivité du développement du projet Audiovision. Le procédé sera présenté pour la première fois en France lors du Festival de Cannes, en mai 1989, avec la projection de deux extraits. La vidéothèque de l'AVH compte à ce jour 300 titres. Le théâtre n'est pas en reste puisque, depuis 1993, de nombreux spectacles du Théâtre National de la Colline, à Paris, ont adopté ce procédé. Et grâce à l'association Accès culture, plus d'une vingtaine d'autres salles à Paris et en régions proposent des spectacles audio décrits. Cette application s'est même étendue à d'autres formes de mises en scène comme le Futuroscope ou la Cinéscénie du Puy du Fou. La télévision se prend elle aussi au jeu avec une grande première en février 2008 : la diffusion d'un documentaire, Kilimandjaro, au delà des limites. Une trentaine de films sont d'ores et déjà disponibles en DVD (liste sur le site).