« La psychiatrie française est à bout de souffle », tonne l'Unafam. Le 10 juillet 2025, l'Union nationale des familles de personnes vivant avec des troubles psychiques a remis au ministère de la Santé 48 propositions pour une refondation urgente de la psychiatrie. « Depuis vingt ans, rien ne change : retard de diagnostic, hôpitaux vétustes, soignants en fuite, traitements hétérogènes… Le constat est accablant », déplore Emmanuelle Rémond, présidente de l'Unafam. Dans une « note de position » appuyée sur l'expertise de ses 16 000 familles adhérentes, l'association propose une feuille de route ambitieuse mais réaliste, pour que chaque personne vivant avec des troubles psychiques accède enfin à des soins de qualité, dans le respect de ses droits.
Agir précocement pour éviter ou limiter le handicap
75 % des diagnostics en psychiatrie sont posés après plusieurs années d'errance. Un retard néfaste, alors que la recherche le confirme : plus la prise en charge est précoce, meilleur est le pronostic. « Agir précocement, c'est éviter que la souffrance psychique ne se transforme en handicap », martèle l'Unafam dans son plaidoyer. Face à ce constat, elle propose notamment de créer des centres pour les « psychoses émergentes » partout en France, renforcer la formation des médecins généralistes, développer les Premiers secours en santé mentale (Un jour avec les Premiers secours en santé mentale) ou encore organiser une véritable stratégie de repérage précoce à l'école. L'objectif ? Briser le mur de l'incompréhension et de l'isolement. « Ce n'est pas un luxe, c'est une urgence sanitaire », insiste l'association. En ce sens, l'Unafam propose également de créer des numéros nationaux connus du grand public afin que toute personne confrontée à un problème de santé mentale, pour elle-même ou pour un proche, reçoive une information fiable et des moyens d'agir.
Une psychiatrie humaine, tournée vers le rétablissement
« L'hospitalisation est encore trop souvent la porte d'entrée dans des soins qui devraient être dispensés en amont, en ambulatoire. Les pratiques sont très hétérogènes d'un territoire à l'autre, entraînant une inégalité majeure d'accès et de qualité des soins », déplore l'association. Refonder la psychiatrie passe donc, selon elle, par une réorganisation territoriale de l'offre de soins, fondée sur la proximité, la réactivité, la qualité et la continuité, dans une logique de rétablissement. « Le rétablissement, ce n'est pas la guérison. C'est retrouver une vie qui a du sens, un pouvoir d'agir, une place dans la société », rappelle Emmanuelle Rémond. « Et il est possible pour tous, non en tant qu'objectif final, mais comme chemin dans la vie de la personne, qui lui permet de retrouver son pouvoir d'agir », complète l'association. Cette dernière plaide pour le développement d'équipes mobiles de soins intensifs à domicile, la mise en place de bilans personnalisés intégrant la réhabilitation psychosociale, ou encore la reconnaissance de la pair-aidance au sein des équipes de soins. Autre levier majeur : la psychoéducation des familles, « le deuxième acte thérapeutique le plus efficace après les traitements médicamenteux ». Pour l'Unafam, il faut aussi sortir de la logique hospitalo-centrée : « Pas de soins sans accompagnement, pas d'accompagnement sans soins. »
Abolir la contention mécanique
L'Unafam tire la sonnette d'alarme : en psychiatrie, les droits fondamentaux sont trop souvent bafoués. Contention, isolement, retrait des effets personnels, interdiction de visites… Des pratiques « inhumaines et dégradantes », selon l'ONU, encore trop répandues dans les établissements français. « En 2022, 8 000 personnes ont été soumises à la contention mécanique », s'indigne l'association. Elle réclame l'abolition pure et simple de cette mesure, comme l'a fait la Norvège. Elle plaide également pour la fin des pratiques systématiques de mise en pyjama, de retrait du téléphone portable, d'interdiction de visites. Autres urgences : former tous les soignants aux droits des patients, mettre fin aux hospitalisations sans consentement systématiques, associer davantage les familles au parcours de soin, et garantir à chacun un accès effectif à l'information et aux recours. « Respecter les droits, c'est rétablir la confiance. Sans elle, pas d'alliance thérapeutique possible », insiste-t-elle.
Mettre en place un plan santé mentale ambitieux
En cette année où la santé mentale est Grande cause nationale (Santé mentale, grande cause 2025: sujet sous-estimé et tabou), l'Unafam rappelle que les intentions ne suffisent plus. Place à l'action ! « Nous avons besoin d'un plan santé mentale et psychiatrie aussi ambitieux que les plans cancer ou autisme », clame Emmanuelle Rémond. L'association appelle à une mobilisation interministérielle : santé, éducation, emploi, logement, recherche… Car soigner, c'est aussi loger, former, insérer. « Certaines mesures ne coûtent rien, comme les directives anticipées ou la pair-aidance, et ont un retour sur investissement immédiat », défend l'Unafam. D'autres nécessitent des moyens, certes, mais surtout une volonté politique. « Changer la psychiatrie, c'est une urgence sanitaire, sociale, humaine. Nous devons collectivement nous en saisir. »
Une réforme possible, une transformation nécessaire
La refondation de la psychiatrie n'est pas une utopie. Elle est à portée de main, à condition d'en faire un choix de société. L'Unafam en est convaincue : les 48 propositions qu'elle porte sont autant de leviers pour bâtir une psychiatrie moderne, humaine et respectueuse. Une psychiatrie de l'espoir, du lien, du soin digne. « Nous pouvons et devons modifier en profondeur notre système de soins. C'est un enjeu de santé publique. C'est un impératif éthique. C'est une promesse que nous faisons à toutes les personnes concernées, et à leurs familles », conclut-elle.
© Mojo_cp / Canva