Handicap en outre-mer : le Sénat tire la sonnette d'alarme

Vingt ans après la loi Handicap, un rapport sénatorial révèle des retards alarmants en outre-mer. Accès aux soins, école, emploi, transports : les politiques sont à la traîne. Ils préconisent un plan de rattrapage assorti de 16 recommandations.

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Un fauteuil roulant sur une place de sable blanc.

Les réponses apportées aux personnes en situation de handicap dans les territoires ultramarins sont « dramatiquement insuffisantes ». Le ton est donné dès les premières lignes du rapport d'information de 279 pages, publié par le Sénat le 3 juillet 2025. Vingt ans après la loi « handicap » de 2005, l'égalité des chances reste une promesse lointaine. « Un rattrapage s'impose. Il suppose une véritable 'course de fond' méthodique et déterminée au niveau des réponses attendues », déclarent les rapporteurs Audrey Bélim (groupe socialiste, écologiste et républicain), Akli Mellouli (groupe écologiste-solidarité et Territoires) et Annick Petrus (Les Républicains).

Leur mission s'inscrit dans le prolongement des travaux du groupe d'études « Handicap » du Sénat et du récent rapport de la commission des affaires sociales sur le bilan de la loi de 2005. Elle vient enrichir ces analyses d'un éclairage spécifiquement ultramarin, trop souvent absent des politiques publiques.

Plus de personnes handicapées dans les DROM

Premier constat : en 2021, la part de personnes en situation de handicap est plus élevée dans les DROM (8 % des 15-24 ans et 12 % des 25-64 ans) qu'en métropole (5 % des jeunes et 10 % des adultes). Chez les enfants, le taux atteint 6 % en Guadeloupe, Martinique et Réunion, et grimpe jusqu'à… 21 % à Mayotte. « La prévalence de certains handicaps est liée à des facteurs environnementaux spécifiques : pollution au mercure, chlordécone, alcoolisation fœtale », souligne le rapport. À ces obstacles s'ajoutent des conditions sociales délétères : monoparentalité massive, chômage élevé, inflation galopante, accès au droit limité pour les publics précaires. Une combinaison explosive qui rend la prise en charge plus difficile encore, voire inexistante.

« La rareté des études sur la politique du handicap dans les outre-mer est révélatrice d'un retard et d'une prise de conscience assez récente de cette problématique dans les territoires ultramarins, soulignent par ailleurs les sénateurs. Les rares données disponibles proviennent des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ou des observatoires régionaux de la santé, essentiellement en Guadeloupe, Martinique et à La Réunion. »

L'accessibilité, un défi majeur

Malgré les grands principes affichés, la réalité est alarmante. « Dans les outre-mer, l'accessibilité reste un défi majeur : l'offre de transports en commun est insuffisante, voire absente, les infrastructures peu adaptées, et l'insularité complique encore les déplacements des personnes en situation de handicap », constatent les rapporteurs. Ils pointent également un « déficit global massif » en matière d'offre médico-sociale, avec des disparités territoriales importantes, voire une absence totale de services dans certains territoires comme Saint-Martin ou Saint-Barthélemy, jusqu'en 2023. À Mayotte, par exemple, seules 12 places en maison d'accueil spécialisé (MAS) pour adultes sont disponibles.

École, emploi, handisport : des freins persistants 

Si l'école inclusive progresse grâce aux efforts des rectorats, des freins persistent, notamment le manque de dispositifs Ulis et les retards de notification. De même, le développement du handisport et du sport adapté reste freiné par un déficit de moyens mais aussi de structures adaptées et accessibles. Enfin l'insertion professionnelle reste « très limitée », entravée par un manque de structures d'accompagnement, malgré des avancées comme à La Réunion. « Ce sont autant de chances perdues pour de nombreux Ultramarins », déplorent les auteurs. « Face à ces manques, la solidarité familiale et l'offre de services à domicile compensent, constituant une spécificité et un atout peu reconnus des outre-mer », ajoutent-ils néanmoins.

Des MDPH débordées et hors délais

Les MDPH, censées être les guichets uniques du handicap, sont à bout de souffle. Si leur ancrage est reconnu, leurs capacités sont insuffisantes. À titre d'exemple, les délais de traitement atteignent 2,5 mois en Guyane, 9,8 mois en Martinique, bien au-delà des 4 mois réglementaires. Malgré des crédits débloqués en 2023 dans le cadre du Comité interministériel des outre-mer (CIOM), « la mise en œuvre demeure freinée par une absence de planification stratégique » et un « défaut de coordination entre les acteurs (CNSA, ARS, départements, MDPH), entraînant la non-réalisation de certains projets, alors même que les dépenses des départements continuent de croître, comme dans l'Hexagone », constatent les rapporteurs (Départements : hausse inédite des dépenses sociales en 2023). Ce fonctionnement en silo empêche, selon eux, l'émergence de solutions pérennes et cohérentes.

16 recommandations pour « accélérer le rattrapage »

Après avoir auditionné 150 personnes et effectué un déplacement en Guadeloupe, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les trois sénateurs formulent 16 recommandations pour « accélérer le rattrapage » et l'inscrire dans la durée, en tenant compte des singularités de chaque territoire.

  1. Assurer une représentation des outre-mer au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).
  2. Achever d'ici fin 2026 le déploiement du système d'information commun dans les MDPH ultramarines, grâce à une mission d'accompagnement renforcé de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie).
  3. Déployer des équipes mobiles dans les zones isolées, en particulier à Mayotte et en Guyane.
  4. Adapter la détection et l'évaluation du handicap aux populations allophones.
  5. Prioriser les outre-mer dans la mise en œuvre du nouveau service de repérage, de diagnostic et d'intervention précoce et faciliter l'intervention des professions libérales (orthophonistes, psychomotriciens…) dans les établissements scolaires.
  6. Créer sur tous les territoires un service public de transport à la demande pour les personnes en situation de handicap.
  7. Accélérer le relogement des familles touchées par le handicap vivant dans des conditions précaires.
  8. Modifier la loi du 11 février 2005 pour étendre aux télévisions locales l'obligation d'accessibilité des programmes.
  9. Compléter le plan « 50 000 solutions » par un plan handicap outre-mer de rattrapage à dix ans, en particulier pour la Guyane, Mayotte, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
  10. Planifier la politique du handicap territoire par territoire, sur la base de données fiabilisées et mises à jour, pour bâtir des parcours cohérents.
  11. Renforcer l'inclusion scolaire en généralisant les formations croisées enseignants-personnels médico-sociaux-AESH-ATSEM.
  12. Confier à l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) l'accompagnement des étudiants ultramarins en situation de handicap dans leurs projets de poursuite d'études dans l'Hexagone et instaurer une reconnaissance a priori des statuts de personne handicapée des étudiants ultramarins en provenance des collectivités du Pacifique.
  13. Développer le parasport et le sport adapté dans les écoles.
  14. Évaluer les modèles précurseurs de la Maison territoriale de l'autonomie (MTA) de Saint-Pierre-et-Miquelon et des MDPH de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, pour rapprocher encore la gouvernance et la gestion des politiques du handicap et de la dépendance dans les autres territoires ultramarins ou dans l'Hexagone.
  15. Pour les petits territoires insulaires ou isolés, créer un cadre réglementaire adapté afin de faire évoluer le modèle classique des établissements médico-sociaux vers celui de plateformes de services polyvalentes avec un nombre de places rapidement modulable.
  16. Étudier un nouveau mode de calcul de la majoration « vie chère » des dotations aux établissements médico-sociaux ultramarins, et réexaminer le montant du concours de la CNSA au financement de la PCH (Prestation de compensation du handicap) dans les départements ultramarins pour tenir compte des prix élevés.

Pour une égalité réelle, ici et là-bas

Ce rapport est une alerte, mais aussi une opportunité. Celle de faire du retard un levier d'innovation. « Le défi de l'accessibilité et de l'inclusion ne peut rester étranger aux outre-mer », martèlent les rapporteurs. Il est temps d'agir, de planifier, d'écouter les territoires, de construire avec eux. Ce n'est pas une faveur, c'est un droit. Et peut-être, enfin, le moment d'en faire une réalité.

© Sframephoto de Getty Images / Canva

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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