Détenus handicapés : un bilan accablant !

L'accueil des détenus handicapés dans nos prisons laisse apparaître une situation totalement archaïque. Les révélations de François Bès, en charge des questions de santé au sein de l'Observatoire international des prisons.

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Sur les 63 000 prisonniers détenus dans les prisons françaises, 5000 sont considérés comme porteurs de handicap dont entre 200 et 300 avec une mobilité réduite (fauteuil roulant, cannes...). Seulement 140 places aménagées pour les détenus handicapés dans les 194 prisons que compte notre pays. Même constat pour les lieux de justice comme les tribunaux, qui sont souvent situés dans de vieux bâtiments et ne sont donc pas aux normes.

La situation semble accablante. Pourquoi s'est-elle détériorée à ce point ?

Le système de comparution immédiate y a contribué, notamment lorsqu'il est question de handicap mental. Beaucoup d'interpelés présentent des troubles psychiatriques mais comment un avocat commis d'office trente minutes avant le procès peut-il en juger ? Auparavant, ils auraient été placés en hôpital psychiatrique. Mais, aujourd'hui, on voit de plus en plus de « malades mentaux » en prison. Le nombre de personnes déclarées irresponsables a été divisé par 10 en 20 ans. C'est de l'abatage !

Y-a-t-il des projets pour améliorer l'accueil des détenus handicapés, en particulier « moteurs » ?
Le gouvernement a annoncé que les prisons seraient aux normes en 2015, mais c'est totalement illusoire. Toutes les nouvelles prisons disposent de quelques cellules adaptées, avec la possibilité d'accéder à une bonne partie des locaux. C'est inscrit dans leur cahier des charges mais, pour le moment, ce n'est effectif que dans les maisons d'arrêt et ne concerne donc pas les détenus condamnés à de longues peines. Dans les « centrales » et les centres de détention, il n'y a aucune cellule aux normes, à part quelques bricolages faits maison ! Ces détenus sont, de toutes façons, privés de toute vie sociale puisque, le plus souvent, ils ne peuvent accéder aux espaces communs : bibliothèque, parloir...

Alors comment font-ils pour se déplacer ou pour leur toilette, leurs soins ?
Le système de l'aidant, par exemple des bénévoles envoyés par des associations, n'est pas appliqué dans les prisons. Nous avons interrogé les MDPH à ce sujet mais pas de réponse ! Alors, le plus souvent, il faut compter sur la bonne volonté des codétenus qui sont, dans le meilleur des cas, rémunérés une misère par l'administration pénitentiaire. Sinon, il faut faire appel à un «bénévolat» pas toujours très net car, en prison, tout se monnaye !

Et les gardiens, ont-ils une responsabilité dans ce domaine ?
Non, ce n'est pas dans leurs attributions mais il arrive que certains acceptent de donner un petit coup de main. La toilette est parfois faite par les infirmières du service médical, mais elles sont souvent débordées. Nous avons le cas d'un détenu paraplégique qui n'avait pas pris de douche depuis trois ans !

Les détenus handicapés ont-ils le droit à une aide financière ?

Ceux qui avaient ce statut avant leur incarcération touchent 30% de l'Allocation adulte handicapé. Pour les autres, ils ont la possibilité de monter un dossier auprès de la Mdph mais les délais de traitement sont extrêmement longs.

Ont-ils accès au travail proposé dans les ateliers des centres de détention?

Franchement, c'est illusoire. Même si les taches proposées sont assez simples, et proches de celles sous-traitées par les CAT, la prison est une entreprise qui vise la productivité et on ne s'embarrasse pas de travailleurs inaptes ou qui ne tiennent pas la cadence.

En décembre, on apprend qu'un détenu de 77 ans est mort en prison sans avoir pu bénéficier à temps, au titre de la loi Kouchner, d'une remise en liberté. Que dit cette loi ?
Qu'on peut suspendre la peine lorsque le pronostique vital est engagé ou quand l'état de santé n'est pas compatible avec l'incarcération. Aujourd'hui, aucun centre de détention n'est aux normes alors si on appliquait la loi stricto sensu, il n'y aurait presque plus aucun détenu handicapé derrière les barreaux. Certaines associations, comme l'APF, sont intervenues auprès du Garde des Sceaux pour proposer un projet de loi pénitentiaire qui rende la situation des détenus handicapés enfin digne et humaine. Elle est passée fin novembre !

Cela peut choquer certaines personnes de parler de dignité lorsqu'on a affaire à des « criminels » ?

Leur punition, c'est la privation de liberté. Pourquoi devraient-ils endurer des peines supplémentaires ? Et puis, est-ce que ça a du sens de maintenir en détention une personne tétraplégique qui ne constitue plus un danger pour la société ? La France a d'ailleurs été condamnée en 2007 par la cour européenne des droits de l'homme pour « traitement inhumain » à l'encontre d'un détenu paraplégique.

Même si la majorité des incapacités sont antérieures à la condamnation, l'incarcération a-t-elle aussi pour effet de renforcer le handicap ?
La privation de liberté altère, par exemple, les perceptions sensorielles. Le toucher se limite à des contacts humains souvent brusques et dénués de tendresse, à des matériaux bruts et froids. La vue n'a plus d'horizon et ne perçoit que murs et barreaux, avec des éclairages souvent déficients. J'ai même vu un médecin obligé de prescrire des ampoules de 100 watts sur ordonnance. L'odorat est mis à mal par les mauvaises conditions d'hygiène et se « protège » en devenant hermétique. Le seul sens qui se développe, c'est l'ouïe : pour pouvoir entendre les surveillants arriver dans une perpétuelle cacophonie. Le vieillissement de la population carcérale multiplie les situations de handicap.&am

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