En fauteuil, et alors ? Un détail, en effet ! Pas tant que cela car dans le milieu artistique mieux vaut parfois être médiocre et bien roulé que talentueux et handicapé. Alsina nait en Algérie, de son prénom Jean-Marie. Sa famille s'installe à Toulouse lorsqu'il a deux ans. Enfance peu banale d'un petit garçon, handicapé, qui grandit et se construit avec sa différence. Le milieu spécialisé, de trois à seize ans ! Il est, de son propre aveu, « de la génération polio ».
Une carrière aux forceps
Sensible à la musique, il est attiré par les voix. A seize ans, il écrit et compose ses premières chansons. Marre de l'internat, l'envie d'être un mec normal. Mais pas vraiment programmé pour la musique. Son entourage est effrayé. Après un DUT carrières de l'information, déterminé à approfondir ses connaissances musicales, il prépare un DEUST de musique option écriture, à l'université. Le hasard met sur sa route Daniel Balavoine. Cette rencontre sera déterminante dans sa vie d'homme et d'artiste. Premiers concours, premières scènes, premier album « Transe Lucide ». « C'était une catastrophe il y a trente ans pour les mecs assis qui voulaient faire de la zic, explique Alsina. Je me suis vraiment imposé dans le milieu professionnel aux forceps, grâce à mes deux cordes vocales. On ne me faisait pas confiance. Et encore aujourd'hui, il faut que je fasse mes preuves. Je ne suis pas en train de dire que mon fauteuil est le seul écueil qui met un frein à ma carrière mais c'est évidemment plus difficile pour un artiste qui a un handicap que pour celui qui est debout. »
Inspiration Nougaro
Le single « Ma voix » sort en 1998 et marque un tournant dans l'écriture des textes et l'interprétation vocale. Les soutiens qu'il reçoit favorisent la naissance de nouveaux projets. Son album (2006), intitulé « De la même espèce », entraîne l'auditeur dans un voyage au cœur des sentiments et de l'humain. En douze chansons, il élargit notre regard sur l'être.
Dans son denier spectacle « Nougaro », l'interprète toulousain rend hommage à celui qui continue de l'inspirer. « La première fois que j'ai entendu Claude Nougaro, j'ai été transporté par son univers, sa voix, ses mots, sa puissance... »
Artiste handicapé pour public handicapé ?
Alsina n'a pas de problème avec son handicap mais artistiquement, il ne sert pas du réseau « handicap », même si, à l'occasion, il donne des concerts au profit de diverses associations. « Ca dépend du projet, du sens qu'on donne à la manifestation... ». C'est un professionnel, un vrai, qui paye ses musiciens, donne des cours de chant et coache des albums et d'autres artistes. Il ne rejette pas cette « cause » mais ne tient pas non plus à être catalogué. Ce qui n'exclut pas un réel désir d'accessibilité. Il y a quelques années, il propose d'ailleurs la traduction du spectacle « De la même espèce » en langue des signes. Après quelques concerts, il décide d'abandonner le projet pour éviter le piège de la ghettoïsation. « Si certains organisateurs avait compris le sens de la démarche, c'est-à-dire rendre le spectacle accessible à tous les publics, d'autres me sollicitaient pour le concept qui était très tendance. J'ai préféré arrêter car cela ne me correspondait pas. ».
Privé de Téléthon
Il y a deux ans, lorsqu'il propose sa participation au Téléthon, son dossier est bien accueilli par France 2 qui le sélectionne pour un passage en prime time. Mais, deux jours après, sa prestation est remise en question au motif qu'il n'est pas myopathe ! « L'AFM s'était opposée à mon passage car elle ne voulait pas qu'il y ait de « confusion » entre les handicaps. On aura tout entendu ! J'avoue quand même que ça a été un coup dur pour un mec comme moi qui se bat depuis vingt ans pour être considéré pour son travail et non pour son image. »
Le fauteuil, une maladie ?
Pas beaucoup d'artistes handicapés dans son univers, à part le trio Grand corps malade, Montagné, Debouze ! Mais eux sont debout ! Sur scène, Alsina se présente en fauteuil, évidemment ! Il fait partie de lui alors lorsqu'en première partie d'un artiste connu on lui demande de chanter sur un fauteuil de bar... « Le fauteuil, ça représente une vraie maladie ! C'est ce qui pose problème... Le secret, c'est la mixité, changer le regard sur le handicap pour ne garder que la valeur artistique. Alors, depuis vingt ans, je m'efforce de rester les roues sur terre, j'ai fait des choix dans ma carrière, les choses auraient peut-être pu être différentes si j'avais fait des concessions sur mon image mais aujourd'hui je suis fier de mon parcours et surtout je peux me regarder dans la glace chaque matin ! »