« J'ai appris à l'âge de 16 ans qu'un jour je ne verrai plus. Quand exactement devais-je connaître la nuit ? Personne n'en savait rien. Mais mon destin était scellé, de par ma naissance. C'était comme un sort qui m'avait été jeté, en pleine adolescence, sous le sceau de l'injustice. Pourtant, j'ai décidé de ne rien en dire, pas même à mes parents ou à mes amis. Qu'allais-je devenir ? Vers quel futur me projeter ? Habité par l'angoisse de ce naufrage annoncé, j'ai longtemps cherché mon chemin. Je me demandais que faire de ma vie, quel métier choisir.
Ainsi ai-je dû avancer vers le monde inquiétant des ombres et du brouillard perpétuel. C'est ce voyage contraint et forcé - inexorable - que j'essaie de raconter ici, tel un explorateur à la découverte d'un pays dont on ne revient pas.
On lira le récit de ces quelque trente années de périple, jalonné certes de moments de dépression et d'amertume mais aussi de rebondissements joyeux, voire de petits triomphes. Animé par la rage de vaincre et l'amour des miens, je me suis trouvé une route à tâtons.
En me cherchant, je suis devenu chercheur. J'ai mis au centre de ma vie la volonté de comprendre les conduites humaines, que les individus se grandissent dans la résistance ou s'avilissent dans la barbarie. Cette passion pour l'homme m'a véritablement "porté". Elle m'a entraîné à mobiliser toutes mes forces et mes facultés intellectuelles pour "lire", enquêter, voyager, écrire, enseigner. D'où ce parcours qui m'a conduit de la Sorbonne à Harvard puis au CNRS et à Sciences Po.
Désormais, je vous écris depuis ces contrées lointaines de la grisaille, où je me sens étranger.
J'y ai pourtant pris mes petites habitudes. On me demande souvent : "Mais comment vous débrouillez-vous ?" De cette métamorphose, je souhaite aujourd'hui témoigner, après des années de silence et de combat. Maintenant, quel paradoxe, j'ai le sentiment d'y voir un peu plus clair ! »