Ils pilotent à vue et sont pourtant non-voyants. « Tout le monde pensait que c'était impossible et un imbécile l'a fait », dixit Franck Bouilloux, de l'Aéroclub de Chelles (77), pilote et secrétaire adjoint de l'association. L'« imbécile » en question, c'est Patrick Radiguet, malvoyant qui, en 1999, crée l'Association européenne des pilotes handicapés visuels (AEPHV), plus prosaïquement « Les mirauds volants ».
La minutie du toucher
Autant de dérision que de déraison ? Comment concevoir un défi aussi insensé ? « Un non-voyant ne pourra jamais être seul à bord, précise Franck, mais il gère tout de même le vol à 90 %. Evidemment, ce qui nous manque, c'est la capacité à percevoir ce qui se passe autour, notamment la présence d'autres avions. Mais ça n'empêche pas des pilotes voyants de se percuter ! Soyons franc, il y a aussi d'autres restrictions, notamment l'impossibilité de lire le tableau de bord : le réservoir d'essence, la pression de l'huile, le chargement des batteries... » On imagine alors un système qui pourrait rendre ces informations « lisibles » aux non-voyants. Mais Franck de réfuter aussitôt le principe : « Ce n'est pas notre optique car cela obligerait à modifier l'appareil, à le faire certifier... Or c'est le non-voyant qui doit être équipé et pas l'appareil. » De la rigueur, de la rigueur... Franck respecte chaque détail de la check-list comme n'importe lequel de ses homologues, il palpe son avion, caresse sa carlingue avec un toucher qu'il prétend plus expert que les voyants.
Un décollage planant
Mais comment imaginer qu'un « miraud » prenne les commandes ? « Pour le décollage, pas de souci, explique Franck, même si la manœuvre est évidemment suivie de très près par l'instructeur. Pour l'atterrissage, la phase la plus critique du vol, c'est un peu plus délicat. Certains y arrivent mais avec un grand nombre d'heures de vol et pas trop de vent. » Quand on imagine une débauche de précautions, seuls quelques mots suffisent à orienter le pilote. Simple comme à droite ou à gauche. Mais ça cogne tout de même très fort dans le palpitant du copilote ! Option moins périlleuse : la simulation sur PC grâce à l'adaptation du logiciel Flight simulator qui diffuse ses instructions par le biais de notes de musiques et est équipé d'un pavé numérique en braille.
Des stages de 2 à 5 jours
L'association organise des stages de pilotage et favorise l'intégration de ses membres dans les aéroclubs. Parce que leur cécité exige qu'ils soient toujours accompagnés, ces « mirauds volants » ne pourront jamais passer le Brevet de pilote privé, en tout cas la partie pratique. Des stages leurs sont proposés sur 2 à 5 jours, sur planeurs ou bimoteurs. Comptez entre 500 et 800 euros, comprenant les heures de vol, l'hébergement, les repas. Des subventions de certains Conseil généraux sont parfois envisageables. L'association a également obtenu l'accord du Service de l'information aéronautique (SIA) pour adapter les cartes aéronautiques en braille et caractères agrandis.
Pour l'estime de soi
Elle compte aujourd'hui 43 pilotes, hommes comme femmes, avec d'ailleurs davantage de parité que dans le pilotage « valide ». 138 pilotes, âgés de 16 à 55 ans, ont déjà suivi cette formation. Quelle est leur motivation ? Certes pas la contemplation du paysage ! Les sensations, peut-être ? Pas vraiment. On apprend par la même occasion que c'est la vue qui détermine la position. Une fois les sensations du virage achevées, impossible de savoir si l'on est de travers lorsqu'on a les yeux fermés. « Ce qui nous motive, explique Franck, relève plus du défi que des sensations. Nous ne pourrons jamais conduire une voiture, comme la majorité des gens, alors imaginez la fierté que l'on peut ressentir en pilotant un avion, et ce en dépit de notre handicap. Notre plus grande motivation c'est certainement l'estime de soi ! »