Virginie Delalande est née dans le silence. On lui a prédit l'échec. Elle a choisi la vie. Et elle n'est pas la seule. « On pense que le handicap enferme. Mais en réalité, il oblige à créer. À inventer, chaque jour, une vie qui nous ressemble. À puiser dans des ressources que d'autres ne découvrent jamais », écrit-elle dans Kiffe ton handicap ! (Dunod), en librairie le 27 août 2025. Dans ce deuxième livre, cette avocate et conférencière sourde mêle sa propre histoire à celles de dizaines d'autres personnes en situation de handicap. Des femmes et des hommes qu'on croyait « limités », mais qui ont révélé des ressources que personne ne leur avait enseignées.
« Ce n'est pas un livre sur le handicap. C'est un manifeste sur la liberté », assure son autrice. 224 pages pour déconstruire les stéréotypes, libérer la parole, offrir des clés concrètes pour ne plus subir son handicap et trouver son propre chemin vers l'épanouissement ! Interview de cette optimiste invétérée.
Handicap.fr : Kiffe ton handicap ! est une ode à la différence. Vous incitez les lecteurs à en faire un « pouvoir ». Comment y êtes-vous parvenue ?
Virginie Delalande : J'ai mis des dizaines d'années à voir le cadeau caché derrière mon handicap, à trouver ma juste place… Et cette quête a été douloureuse. Mais elle m'a permis de découvrir une forme de puissance qui guide désormais ma vie : celle d'assumer pleinement qui je suis, avec mes forces et mes fragilités.
Pour y parvenir, j'ai dû arrêter de me battre contre moi-même, de vouloir correspondre à un modèle qui n'était pas le mien, et apprendre à transformer mes différences en leviers. Mon conseil ? Commencez par changer de regard sur vous-même. Osez explorer ce que votre différence vous a appris de précieux : patience, créativité, empathie, force mentale… Puis, utilisez ces ressources comme des outils pour construire une vie qui vous ressemble vraiment.
Je précise : cela ne veut pas dire nier les difficultés ou dire que « tout est dans la tête ». Il est essentiel que la société change aussi ses structures et ses mentalités. Mais, en attendant, reprendre le volant de sa vie, même à petits pas, est un acte de liberté puissant.
H.fr : Vous n'avez donc pas toujours considéré votre handicap comme une force. Quand le déclic s'est-il produit ?
VD : Pas du tout. Je suis née sourde, et jusqu'à mes 7 ou 8 ans, je le vivais sans me poser de questions. Pour moi, c'était simplement une couleur de plus dans la palette de la diversité humaine - comme porter des lunettes, avoir les cheveux roux, une peau différente ou des parents divorcés. Un jour, j'ai découvert à quel point la société pouvait être pleine de préjugés. Pendant les 20 premières années de ma vie, j'ai surtout ressenti le poids, les barrières, la frustration… et même souvent la honte.
Le déclic est venu le jour où j'ai accepté de lâcher mon ego, cette partie de moi qui voulait sauver les apparences et prouver que j'étais « comme tout le monde ». J'ai compris que ma surdité m'avait donné des compétences précieuses : lire entre les lignes, percevoir les émotions avant même qu'elles soient dites, inventer des solutions là où il n'y en a pas…
H.fr : En quoi ce deuxième ouvrage se distingue du premier, Abandonner ? Jamais !, sorti en 2020 ?
VD : Abandonner ? Jamais ! est avant tout une biographie. J'y répondais à la question que l'on me posait souvent : « Comment as-tu fait pour… ? », et proposais une immersion dans le quotidien et l'intériorité d'une personne sourde profonde.
Kiffe ton handicap ! est un guide pratique. Il mêle expériences et exercices concrets pour que chacun reparte avec de nouvelles clés à explorer. Et, surtout, ce livre n'est pas une fin en soi mais le démarrage de quelque chose de plus grand encore…
H.fr : Pensez-vous que la société française a évolué dans sa manière de considérer le handicap depuis la sortie de votre premier livre ?
VD : Oui… mais pas assez vite. On commence enfin à comprendre que la vraie inclusion ne se limite pas à la sensibilisation : elle intègre aussi les talents, la performance et le leadership que peuvent apporter les personnes handicapées. Les réseaux sociaux ont aidé à rendre plus visibles nos voix, nos histoires, nos revendications. Mais, sur le terrain, l'accueil et les opportunités dépendent encore trop de la sensibilité individuelle des interlocuteurs. Et il reste un blocage majeur : voir le handicap comme un coût plutôt que comme une valeur ajoutée.
Ce que je constate aussi, c'est un paradoxe :
- Quand une personne me connaît, elle fait tout pour que je me sente bien.
- Quand elle ne me connaît pas, je me heurte encore à l'invisibilisation et aux préjugés.
Et c'est bien là le problème : on ne devrait pas avoir besoin d'être connu pour être pleinement vu et reconnu.
H.fr : Quels changements concrets espérez-vous provoquer chez vos lecteurs, qu'ils soient en situation de handicap ou non ?
VD : Qu'ils reprennent le volant de leur vie et ne laissent plus jamais personne - pas même leurs propres doutes - décider de leur valeur ou de leurs limites. Cela ne veut pas dire se débrouiller seul : au contraire, il faut demander, se faire respecter, co-construire avec les autres. Mais cela commence par un choix intérieur : celui de ne plus se laisser dessiner par le regard extérieur. Nous sommes restés trop longtemps dans le silence et l'acceptation passive, ce qui a pour conséquence que trop de personnes parlent et agissent à notre place sans répondre à nos besoins véritables.
H.fr : Vous dites : « Ce livre va retourner ton cœur, ta tête et peut-être ta vie ». Pour quelles raisons ?
VD : Parce qu'on réalise qu'on n'est pas seul à vivre ce tumulte intérieur, cette sensation d'injustice, ces incompréhensions face aux autres, leurs préjugés, leur ignorance. Parce qu'on se reconnaît dans ces tâtonnements pour trouver des solutions… et qu'on découvre enfin qu'il en existe vraiment. Et, surtout, parce que ça fait un bien fou de se sentir compris, de se dire : « Ah, ce n'est pas que moi », et de repartir avec des options pour transformer ce qui, jusque-là, semblait une fatalité.
H.fr : Quelles ont été les plus grandes difficultés ou surprises dans le processus d'écriture ?
VD : Trouver un ton qui soit à la fois fun à lire, clair et utile. Je voulais que chaque page donne envie de continuer et qu'elle offre au moins un outil concret. Et la surprise a été de voir à quel point les retours les plus forts venaient de passages où j'avais osé être totalement transparente.
H.fr : Profondément optimiste, ce livre aborde également une part plus sombre de votre histoire, lorsque vous avez « touché le fond », dites-vous, et « programmé votre absence pour toujours ». En quoi était-ce essentiel pour vous de mentionner cette étape ?
VD : D'abord, parce que ce moment fait partie intégrante de mon histoire. Il a été un choc, un point de bascule, qui a déclenché en moi des prises de conscience profondes. Ensuite, parce qu'en échangeant avec des personnes handicapées, aujourd'hui épanouies, j'ai découvert que la grande majorité d'entre elles avait, elles aussi, traversé une détresse mentale intense. C'est là que j'ai compris que beaucoup vivent cela en silence. En parler, ce n'est pas dramatiser : c'est briser le silence et la honte, rompre l'isolement et affirmer qu'il y a un après possible.
H.fr : Un troisième ouvrage en perspective ?
VD : Mieux que ça ! Ce livre est le point de départ d'un mouvement « Kiffe ton handicap » pour reprendre le pouvoir sur nos vies et oser prendre la place que nous méritons vraiment. Ce mouvement se déclinera en conférences, accompagnements et initiatives collectives.
© Couverture du livre « Kiffe ton handicap ! »