Maltraitance et handicap : l'enfant du silence !

Un colloque organisé par la Fondation pour l'enfance, 'La maltraitance des enfants : entre déni et tabou ', se tient à Paris le 14 janvier 2011. Entretien avec Pierre Lassus*, l'un des intervenants, sur la situation des enfants handicapés.

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* Pierre Lassus est psychothérapeute, spécialiste de l'enfance maltraitée. Il a été, pendant 37 ans, directeur de l'Union française pour la sauvegarde de l'enfance. Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages sur la maltraitance des enfants, dont « La violence en héritage » (chez Bourin éditeur) qui sort en librairie le 20 janvier.

Handicap.fr : La maltraitance, c'est quoi ?
Pierre Lassus : C'est une réaction pulsionnelle qui ne peut être contrôlée. Il n'y a pas de parent maltraitant qui n'ait été un enfant maltraité. Cette histoire familiale le prédispose au passage à l'acte. Tout ce qui le blesse, l'inquiète, le dérange risque de déclencher ce réflexe conditionné. Mais, la maltraitance, ce ne sont pas seulement les coups. La violence psychologique et affective est plus pernicieuse, bien plus grave. Je « conseille » aux parents qui veulent se « débarrasser » de leur enfant, non pas de leur taper dessus mais de leur dire « Tu es nul, tu es moche, tu n'es qu'un bon à rien ! » Il y a enfin la maltraitance par non-action. Si le parent ne prodigue à son enfant aucune tendresse, aucun intérêt, ce dernier ne peut pas se construire.

H
: Mais partant de ce principe, nous sommes tous des enfants un peu maltraités et donc potentiellement des parents maltraitants !
PL : Oui, mais à des degrés divers. Freud disait à une mère : « Faites comme vous voulez ; de toutes façons, vous ferez mal ! » Chacun de nous a ses propres failles et ses blessures qui peuvent surgir dans certains cas, à la faveur d'un évènement. Mais il ne faut pas confondre avec des pseudos systèmes familiaux qui sont de véritables entreprises de démolition !

H : Pensez-vous que la maltraitance des enfants handicapés est plus fréquente que celle des « valides » ?
PL : J'ai eu l'occasion de travailler avec des associations de parents d'enfants handicapés et je n'ai pas perçu davantage de violence de leur part. J'en ai même vu se comporter avec une pertinence affective remarquable. Il faut, pour cela, être en mesure de garder une bonne distance, donner beaucoup mais pas trop, éviter de créer une situation de dépendance affective, ce qui n'est pas toujours évident.

H : Pourtant, on pourrait imaginer qu'étant rendus vulnérables par la situation de handicap, ils sont plus disposés que les autres à perdre leurs repères ou leur sang-froid ?
PL : Il est vrai qu'avoir un enfant handicapé crée une blessure narcissique extrêmement profonde qui pousse certains à la violence. Ajoutez à cela les comportements parfois dérangeants, angoissants et lourds à porter de l'enfant qui créent un risque supplémentaire. Les parents sont fragilisés par la fatigue, les cris, le manque de sommeil, la pression sociale. Alors oui, parfois, certains craquent, et ne sont plus en mesure de contrôler leurs pulsions.

H
: Les enfants handicapés ont des moyens d'expression limités pour se défendre ou appeler au secours ?
PL : Toute notre culture, de la Bible à Freud, nous pousse à protéger les parents, à privilégier leur parole et leurs droits, à les considérer comme « forcément « bons, et à penser qu'ils ont, par principe, raison. La parole des enfants est souvent mise en doute. Alors la situation est évidemment plus critique encore lorsqu'ils ont des moyens de communication limités.

H : Mais comment les aider ?
PL : Je vais dire une grosse banalité : c'est le rôle des grands de défendre l'agneau lorsqu'il est menacé par le loup. Tous les professionnels qui gravitent autour de ces enfants sont censés, à condition d'avoir un minimum d'empathie et de compétences techniques, percevoir leur malaise. Un enfant, même autiste, maltraité, aura un comportement différent de celui qui ne l'est pas.

H : Que dire des enfants handicapés psychiques ?
PL : Pour eux, c'est pire encore. Mais là on aborde, une autre facette de la question. Ces comportements sont souvent les conséquences de la maltraitance. On les considère comme fous, étiquetés comme caractériels ou psychopathes. Mais j'attends qu'on me dise vraiment ce qui déraille dans leur cerveau !

H
: On parle de la responsabilité des parents mais qu'en est-il des institutions, notamment en ce qui concerne les abus sexuels ? C'est encore la loi du silence ?
PL : Il n'y a pas de généralité ; ca peut se passer bien comme horriblement mal. On découvre parfois des cas de haute maltraitance. C'est là un enjeu institutionnel et social : savoir à qui l'on confie nos enfants ? Le handicap, c'est parfois embêtant, encombrant. Les pros y sont aussi confrontés et, en l'absence de formation ou de contrôle institutionnel, ils peuvent évidemment glisser vers des actes graves et laisser libre cours à leurs fantasmes.

H
: On se préoccupe beaucoup du bien être de l'enfant handicapé mais pensez-vous que le monde médico-social prend suffisamment en compte le désarroi et la souffrance des parents ?
PL : Certes, non ! Leur entourage et eux-mêmes ont tellement peur de leurs réactions que tous refusent de les évoquer. La maltraitance est une « pathologie » particulière dont on ne parle pas. Il devrait y avoir des lieux où ils pourraient crier : « Je n'en peux plus, j'ai envie de le tuer ! » C'est un peu le rôle des groupes de parents mais qui, j'insiste, doivent être animés pas des professionnels compétents. Il devrait y en avoir dans toutes les institutions, tous les établissements, toutes les associations.

H
: Le risque, c'est de voir certains parents passer à l'acte et tuer leur enfant au motif de ne plus le voir souffrir ?
PL : Je me garderais bien d'énoncer la moindre généralité sur cette question. Il y a tous les cas de figure : de parents égoïstes qui mettent la souffrance de leur enfant en avant pour justifier leur propre égarement, d'autres qui ne supportent plus de le voir dépérir. Le passage à l'acte est considéré comme un crime. On n'est plus dans le registre de la maltraitance, à moins de faire volontairement souffrir.

Infos:

Colloque « La maltraitance des enfants : entre déni et tabou «
Espace Reuilly - 21 rue Hénard 75012 Paris, Vendredi 14 janvier, de 9h à 17h
Programme complet sur : www.fondation-enfance.org/Colloques

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