« Entreprises, Osez l'ESAT ! » Drôle de slogan, presque comme une tentation répréhensible... C'est celui d'Humanis (3ème acteur solidaire de la protection sociale en France) qui, le 3 novembre 2011 a remis publiquement les conclusions d'un baromètre de la sous-traitance avec le secteur adapté et protégé, réalisé en partenariat avec Handiexperh. Il vise à mesurer le degré de satisfaction, la perception, l'image et la notoriété du secteur protégé par les entreprises du milieu « ordinaire ». 708 entreprises (480 sont clientes, 70 ont acheté par le passé, 158 n'ont jamais acheté), représentatives des 129 000 établissements assujettis à l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés, ont été interrogées entre mai et juin 2011.
« Nous sommes partis de l'évidence suivante, confie Louis Bisson, directeur de l'action sociale chez Humanis. Plutôt que d'interroger les ESAT, interrogeons leurs clients car ce sont eux qui ont à gérer l'obligation d'embauche ». Une première, qui a vocation à être réactualisée tous les deux ou trois ans ! Jamais enquête n'avait été aussi minutieuse dans le champ de l'emploi indirect. Cet état des lieux inédit permet d'augurer des perspectives de développement futures pour le secteur protégé.
Tremplin vers le milieu ordinaire
A quelques jours de la semaine pour l'emploi des personnes handicapées (14 au 20 novembre), la question du travail en milieu protégé est plus que jamais d'actualité. Rappelons que les entreprises adaptées (EA) et ESAT (Établissements et Services d'Aide par le Travail), accueillent des travailleurs en situation de handicap dans un milieu propice tout en leur proposant un accompagnement médico-social (notamment l'accès aux soins). Un atelier doré ? René Georges Duchemin, président de l'APEI Boucle de la Seine précise que « le milieu protégé permet de développer la créativité, le professionnalisme et la compétitivité, et, chaque fois que cela est possible, constitue un tremplin vers le milieu ordinaire. » Sur les 725 000 travailleurs handicapés en emploi en France, 115 000 travaillent en ESAT et 25 000 en EA.
Une ministre en visite
C'est donc l'ESAT des « Voies du Bois » (APEI des Boucles de la Seine), à Colombes (92), qui a accueilli une vaste délégation en préambule à la remise du rapport. Cette ville francilienne n'a pas été choisie au hasard : une très bonne élève puisqu'elle a dépassé le quota de 6 %. Selon Michèle Etcheberry, adjointe au maire en charge des affaires sociales, « Les ESAT sont d'importants lieux d'insertion professionnelle, et notre mairie les sollicite autant que possible, malgré la procédure des marchés publics qui ne facilite pas toujours la tache ». Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État aux Solidarités et à la Cohésion sociale, avait également fait le déplacement, arpentant les ateliers à la rencontre des travailleurs à l'ouvrage. Elle se dit convaincue que « tous ont besoin d'avoir une activité reconnue et utile à la société. »
68 % des entreprises sous-traitent
Elus, présidents et directeurs se sont ensuite pressés à la table de conférence pour révéler les conclusions de ce baromètre. Un premier chiffre, rassurant : 68 % des entreprises soumises à l'obligation d'embauche ont fait le choix de sous-traiter avec le secteur protégé en 2010, soit deux fois plus qu'en 2008, et ce malgré un contexte économique difficile. Cette envolée ne présume pas pour autant une évolution vers des comportements vertueux dans les années à venir. Celles qui n'ont jamais sous-traité n'entendent en effet pas modifier leur comportement.
Quant au montant des achats de celles qui sont déjà clientes, il devrait peu augmenter. Le marché s'annonce donc plutôt stable pour 2011/2012. Pourtant, sans que personne ne soit en mesure de donner le chiffre d'affaires global de la sous-traitance aujourd'hui, le marché potentiel est estimé à 570 millions d'euros par an. Il faut, pour atteindre de tels objectifs, que les entreprises acceptent de percevoir le secteur protégé comme une alternative équivalente à un fournisseur classique, mais plus encore comme une partenaire de référence à vocation sociale.
Image bas de gamme ?
Ce baromètre permet également de mesurer le poids des aprioris. Et il est vrai qu'en matière d'image de marque, on part de très bas ! Loin de toute caricature « d'entreprise au rabais », le milieu adapté a pourtant la volonté, même s'il a prioritairement pour mission de venir en aide aux plus fragiles, de répondre aux exigences de l'économie de marché. 70% des entreprises clientes consentent à faire appel aux EA ou ESAT pour faire une « action citoyenne ». Mais si cette collaboration peut aussi alléger leurs charges, tant mieux ! Elle permet en effet à 57 % d'entre elles de diminuer leur contribution Agefiph.
Le travail adapté ne serait donc qu'une « contrainte charitable » ? Pas seulement ! Certains ont franchi le pas, à grande échelle. Et semblent ne pas regretter cette stratégie. Auchan témoigne. La grande distribution, réputée pour ses dents acérées, est capable de nouer des partenariats pour faire avancer la « cause », en mettant par exemple en place le premier salon destiné à réunir acheteurs et secteur protégé, tandis que 3,9 millions d'euros ont été consacrés par l'enseigne à la sous-traitance avec le secteur adapté en 2010.
Des perspectives florissantes ?
Marie-Anne Montchamp se veut rassurante : « Le gouvernement est très volontariste dans ce domaine. Nicolas Sarkozy s'est engagé sur la création de 1000 places supplémentaires en ESAT tandis qu'une augmentation de l'effort budgétaire sur ce poste sera examiné lors de la loi de finance 2012. Cela s'inscrit dans un engagement qui doit faire migrer le modèle existant vers quelque chose de plus pérenne. » Au-delà des annonces, comment poursuivre la dynamique ? Quelles sont les solutions à court terme ? Grâce aux remontées terrain du baromètre Humanis, plusieurs pistes et leviers d'actions se dégagent : adapter l'offre aux besoins des entreprises, pratiquer des prix attractifs et compétitifs (59 % des entreprises interrogées considèrent que les prix trop élevés peuvent être un frein à l'achat), développer des volumes d'achat sur des prestations peu connues à ce jour mais à forte valeur ajoutée comme les appels téléphoniques ou l'évènementiel, poursuivre la modernisation des équipements, offrir une meilleure information sur la prise en compte de la diminution de la contribution Agefiph ou encore organiser des manifestations de type « portes ouvertes ».
Du côté des entreprises aussi : développer leurs connaissances concrètes du marché et des modes de fonctionnement des EA/ESAT, sensibiliser les collaborateurs, réorganiser le processus d'achat et mettre en place des projets internes pilotés par les référents handicap. La mesure, plus globale, qui semble s'imposer à tous, c'est la nécessaire professionnalisation de ce secteur, avec l'urgence de fédérer la filière pour pouvoir mutualiser les achats. L'union fait la force, même lorsqu'elle concerne les plus fragiles d'entre nous... 570 millions d'euros. Vous avez vraiment dit « fragiles » ?
Un mini site dédié permet de retrouver l'ensemble des conclusions de ca baromètre, des témoignages de personnalités et de travailleurs handicapés : www.osezlesat.com