Une question majeure puisqu'un enfant sur 100 est, en France, affecté par des troubles du spectre autistique, soit entre 600 000 et 800 000 personnes. Face à cette situation, l'autisme est déclaré « Grande cause nationale en 2012 ».
Un pavé dans la marre
C'est Daniel Fasquelle qui ouvre la brèche. Ce député du Pas-de-Calais dépose, le 27 janvier 2012, sur le bureau de l'Assemblée nationale, une proposition de loi visant à interdire l'accompagnement psychanalytique des personnes autistes, encore (trop souvent ?) répandu dans les établissements hospitaliers et médicosociaux, au détriment des méthodes éducatives et comportementales. Il va plus loin encore en projetant de saisir le Conseil National des Universités pour interdire toute référence à la psychanalyse dans l'enseignement et la recherche sur l'autisme. Daniel Fasquelle rejoint en cela les arguments du film Le Mur qui fait couler tant d'encre.
Le soutien des associations de parents
Les associations de parents d'enfants autistes, pour la grande majorité réunies au sein du collectif « Ensemble pour l'autisme », soutiennent le point de vue de Daniel Fasquelle, à quelques nuances près. Question de forme ! Selon Mireille Lemahieu, présidente de l'Union régionale Rhône-Alpes des associations partenaires d'Autisme France (URAFRA), qui fait partie de ce collectif, « ce projet de loi a le mérite de porter ce sujet à la connaissance de tous. Certains jugeront que, même si la proposition est un peu « maladroite », elle a atteint son objectif : celui de bousculer les esprits. Est-ce qu'il faut pour autant interdire ? On ne pourra de toute façon jamais être derrière chaque enfant et chaque praticien. » La Fédération française des dys (dyscalculie, dyspraxie, dyslexie...) se joint à cet élan, qui bénéficie également de l'appui de mesdames Bachelot (Ministre des solidarités et de la cohésion sociale) et Montchamp (Secrétaire d'Etat en charge du handicap) qui, lors d'un discours à l'Assemblée nationale le 12 janvier 2012, ont défendu la position de monsieur Fasquelle. Mais pourquoi une telle « déclaration de guerre » à l'encontre de la prise en charge psychanalytique ?
La toxicité maternelle !
Au risque d'être caricatural, la théorie psychanalytique a tendance à rendre la mère responsable de l'autisme de son enfant. C'est le point de vue défendu par Bettelheim (avec sa théorie du retrait autistique face aux menaces inconscientes de mort provenant de la mère) ou de Winnicott (avec son concept de « mère suffisamment bonne »). Un archaïsme à la française puisque la thèse psycho-dynamique de l'autisme est révolue et a été balayée par les progrès de la science en génétique, biologie et biochimie, imagerie médicale... Anomalie du sillon temporal supérieur, trouble de la connectivité neuronale d'étiologie inconnue, hypothèses génétiques, hormonales, toxiques, infectieuses, psychogénétiques, les champs d'investigation sont nombreux ! Des chercheurs américains commencent à cerner les interactions entre gènes et environnement pouvant conduire à l'autisme, notamment la présence de substances chimiques lors du développement in utero. Certes, les origines de l'autisme font encore débat, mais comment continuer à penser que c'est cette « mère toxique » qui en est la cause ?
Un accompagnement inutile ?
Cinzia Agoni, présidente de Inforautisme asbl, une association belge, précise, dans un communiqué de presse, qu'elle est « confrontée régulièrement à des plaintes de parents qui passent par la filière analytique et qui en ressortent cassés par la culpabilisation d'avoir produit un enfant autiste. Surtout, ils dénoncent les « traitements » subis par leurs enfants, laissés sans apprentissages et sans outils de communication, car « il faut d'abord travailler la relation ». A long terme, cela provoque un sur-handicap très dommageable à l'âge adulte. » Selon Mireille Lemahieu « la psychanalyse n'a pas à être utilisée comme un outil dans les prises en charges des enfants atteints de troubles autistiques. »
Les approches éducatives
Pour Cinzia Agoni, également maman d'un enfant autiste, « les seules approches ayant prouvé une amélioration tangible et mesurable en termes d'adaptation au monde et d'épanouissement des personnes autistes, sont les approches éducatives (PECS, ABA, Teach...). Il existe de nombreuses revues d'études internationales le démontrant. » Les unes n'excluant pas l'autre, selon Loriane Brunessaux des « 39 contre la nuit sécuritaire », collectif en psychiatrie, qui, dans le clan opposé, rédige une lettre ouverte pour s'indigner de cet acharnement : « Dans le champ de l'autisme, la psychanalyse a certaines visées précises, qui ne sont pas les mêmes que celles des méthodes éducatives, mais qui les complètent dans un enrichissement mutuel. La thérapie permet aux personnes autistes de réduire leurs angoisses conscientes et inconscientes, de libérer leurs capacités d'apprentissage, de permettre qu'ils trouvent du plaisir dans les échanges émotionnels et affectifs avec les personnes qui les entourent. »
La haine de la psychanalyse ?
Car, évidemment, face au tollé associatif, les « psys s'inquiètent d'une offensive contre la psychanalyse ». Ils déplorent la « féroce croisade de ce député qui se fait le relais du puissant lobby de quelques associations ». Les psychanalystes reprochent à leur tour aux techniciens du conditionnement comportementaliste, qu'ils prétendent extrêmement minoritaires, de vouloir bénéficier d'un soutien exclusif de l'Etat. Ce sont eux qui exciteraient les parents d'autistes, et manipuleraient leur souffrance pour la transformer en force de frappe anti-psychanalyse et antipsychiatrie. Loriane Brunessaux ironise en précisant que c'est la « haine de la psychanalyse et de l'inconscient qui est la Grande cause nationale 2012. »
Un fonds de commerce menacé ?
A son tour, l'Unapeï demande au député de retirer sa proposition de loi car cette association de parents d'enfants handicapés mentaux défend le principe d'une approche pluridisciplinaire, prétextant que « c'est aux familles de choisir le meilleur accompagnement pour leur enfant ». Selon Christel Prado, sa présidente, « Interdire une forme d'accompagnement ne sert à rien et est clivant. Concentrons nos énergies à développer de façon urgente les méthodes qui ont prouvé leur efficacité, et ce le plus précocement possible. ».
Mireille Lemahieu constate que « certaines associations emploient encore dans leur structures des professionnels qui pratiquent la prise en charge psychanalytique. Cela contraint les parents à retirer les enfants des institutions qui doivent alors eux-mêmes financer les prises en charge comportementales et éducatives de leurs enfants. » Pour l'heure, la France est confrontée à une réalité effrayante : l'exode vers la Belgique de milliers de personnes handicapées françaises, dont beaucoup d'autistes, qui fuient les prises en charge à tendance analytique.
Deux « dossiers » en cours
La Haute autorité de santé s'apprêtait à présenter un rapport « excluant les approches d'inspiration psychanalytique des pratiques recommandées et mettant en avant les méthodes éducatives et comportementales », mais Daniel Fasquelle affirme, dans une dépêche APF datée du 23 février, qu'elle semble être « victime de pressions ». La HAS aurait ainsi fait passer ces pratiques du stade de « non recommandées » à celui de « non consensuelles ». Publication du rapport le 6 mars 2012 ! Une étude est également en cours eu sein du CESE (Conseil économique, social et environnemental) qui a pour but d'estimer le coût économique et social de l'autisme en France. Ses conclusions en viendront-elles à prouver que la psychanalyse alimente ces dépenses sans réels bénéfices?
Autisme : la guerre est déclarée !
Mur, packing, psychanalyse, procès... En ce début d'année 2012, l'autisme alimente la polémique. Face à cette convergence d'infos, d'avis contraires et de passions exacerbées, on finit par s'y perdre un peu. Alors, on vous explique...