CEA Grenoble : le défi d'une accessibilité hors norme

Le CEA de Grenoble est une "ville dans la ville" qu'il a fallu aménager pour le confort des employés handicapés. ACTE, une démarche innovante d'accessibilité universelle représente un bonus pour tous. Le point avec Hélène Birraux, chef du projet.

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Handicap.fr : Le CEA, c'est  le Commissariat à l'énergie atomique ! Quel lien peut-il y avoir avec le handicap ?
Hélène Birraux : Créé en 1956, le CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) de Grenoble est l'un des principaux sites de recherche en France. Il se consacre principalement aux nouvelles énergies, à la bio-santé mais mène également des recherches sur les implants pour la maladie de Parkinson, les exosquelettes ou encore les prothèses. Nous avons également initié un projet de géo guidage « indoor » (dans un bâtiment) pour les personnes non-voyantes ou encore des solutions pour permettre aux personnes âgées de rester vivre à domicile.

H.fr : Le CEA a mis en œuvre le projet ACTE, qu'est-ce qu'il signifie ?
HB : « Accessibilité : construisons pour tous vers l'emploi ! »

H.fr : Quels sont ses objectifs ?
HB : Rendre notre site accessible car c'est une condition impérative pour promouvoir l'emploi des personnes handicapées. Aussi bien direct qu'indirect, par exemple par le biais des travailleurs d'Esat qui s'occupent de nos vastes espaces verts, des distributeurs à boissons et qui mangent avec nous au restaurant ou se retrouvent aux machines à café. En d'autres termes, faire du CEA de Grenoble une entreprise handi-accueillante. Aujourd'hui, 80% du site est accessible, il le sera à tous les handicaps d'ici 2020.

H.fr : Et cela vaut aussi pour la formation des étudiants handicapés ?
HB : Oui, bien sûr, puisque de nombreux universitaires travaillent dans nos murs et nous avons un lien très fort avec tous les grands organismes de recherche. Alors notre implication impacte forcément l'accès des jeunes handicapés aux études supérieures.

H.fr : Il y a d'ailleurs une longue tradition d'accueil des étudiants en situation de handicap sur le campus de Grenoble…
HB : Oui, pour une raison toute simple. Dans les années 50 ou 60, on envoyait les enfants atteints de tuberculose dans nos sanatoriums pour respirer l'air de la montagne. Certains poursuivaient leurs études sur le campus. Cela a contribué à donner à notre ville une longueur d'avance en matière d'accueil des étudiants handicapés.

H.fr : Cela signifie-t-il que le CEA a atteint le quota de 6% de travailleurs handicapés ?
HB : Non, nous ne sommes qu'à 3,79 % en 2015, contre 3,63 en 2014. Ce taux s'explique notamment par le fait que la majorité des emplois à pourvoir sont très qualifiés. Il faudra encore quelques années avant que la loi handicap de 2005 ne produise tous ses effets ; il n'y a pas suffisamment de jeunes handicapés intégrant l'enseignement supérieur pour le moment. C'est pourquoi, pour satisfaire notre obligation d'emploi, nous privilégions l'alternance mais aussi le recours à la sous-traitance avec le secteur protégé, en hausse de 5,8 % en 2015.

H.fr : Cette impulsion donnée par la direction est-elle partagée par l'ensemble des collaborateurs, et notamment des managers ?
HB : Pour les sensibiliser et les inciter à se distancier de leurs préjugés sur le handicap, nous avons mis en place une formation destinée aux managers, RH et représentants du personnel. Tout le monde est concerné ! Y compris nos services techniques qui auront droit à une formation dédiée sur le thème de l'accessibilité fin juin.

H.fr : Justement, parlons accessibilité… Le CEA de Grenoble, ce n'est pas une entreprise, c'est une ville dans la ville. Le défi est particulièrement ambitieux.
HB : Oui c'est un défi hors norme car c'est un site gigantesque : 35 km de voirie, 67 hectares, 100 bâtiments,  6 000 employés et 600 visiteurs par jour.

H.fr : Quelle est la nature des aménagements mis en place, quelques exemples…
HB : Par exemple la signalétique multisensorielle, en braille, en relief et contrastée, avec l'idée de faciliter la vie de tous. Nous utilisons notamment des pictogrammes simples à comprendre, aussi utiles pour nos travailleurs d'Esat que pour nos chercheurs étrangers qui ne parlent pas français. Ils permettent de localiser facilement les salles de réunion, restaurants, sanitaires… C'est également le recours à la colorimétrie pour guider intuitivement vers les zones communes ; toutes les portes des bureaux sont peintes de la même couleur et celle qui mène vers la cafétéria est d'une teinte différente. Cela interpelle le regard ! A l'inverse, on masque les locaux techniques avec des couleurs noyées dans la masse.

H.fr : Cela parait si simple…
HB : Oui et pourtant, au début, nos maîtres d'œuvre étaient un peu chagrins. Ils ont visité le bâtiment expérimental et ont tout de suite été convaincus par le concept.

H.fr : L'accessibilité universelle, ce n'est pas encore dans les habitudes des métiers du bâtiment ?
HB : Disons qu'il faut les convaincre qu'une porte automatique c'est utile pour la personne en fauteuil mais aussi pour le livreur qui évite ainsi de l'abîmer. Donc non seulement ça rend service à tous ceux qui arrivent chargés mais en plus c'est rentable ! Des maîtres d'œuvres viennent tester nos méthodes qu'ils réinvestissent sur d'autres chantiers. Certains peuvent vraiment capitaliser sur ce savoir-faire. Et si un prochain client leur demande « Trouvez-moi une poignée qu'on puisse manipuler avec un moignon », ils auront le bon réflexe. C'est gagnant-gagnant pour tout le monde !

H.fr : Pas question de faire sans les personnes concernées alors vous avez créé un « groupe usagers ».
HB : Oui, qui rassemble une vingtaine de volontaires, tous handicaps confondus. Chaque fois que nous mettons en œuvre un chantier, nous les sollicitons pour avoir leur avis. Un truc tout bête, dans nos salles de réunion, la confidentialité est primordiale : or, comment faire si une personne malentendante utilise une boucle magnétique puisque le signal peut être intercepté par tous ? Il a donc fallu trouver une technologie plus adaptée, que nous avons fait tester à notre groupe d'usagers porteurs de prothèse. Autre exemple avec une personne très malvoyante qui nous a donné son avis sur les contrastes de couleur sur l'un de nos chantiers. Sa présence a surpris les ouvriers ; un malvoyant qui négocie les couleurs, ils n'avaient jamais vu ça ! Et puis on a aussi testé le passage d'un fauteuil roulant sur une nouvelle moquette…

H.fr : Certaines entreprises affirment que l'accessibilité coûte cher. Est-ce vraiment le cas ?
HB : On a fait le calcul car on savait que c'était l'argument qu'on allait nous opposer. Sur un bâtiment tertiaire, c'est-à-dire non équipé de pièces très techniques comme les labos, le coût dédié à un handicap spécifique représente 0,97% de la construction. Et le surinvestissement en termes de qualité d'usage pour tous est de 1,63%. Donc au total, c'est environ 2,60 %. Si l'accessibilité est envisagée dès le départ, le surcoût est dérisoire. Et je vais même aller plus loin, c'est un bénéfice plus global et un gain de confort pour tous car, par exemple, le manutentionnaire qui se casse les reins dans l'escalier, ce sont des troubles musculo-squelettiques à terme, et c'est aussi un temps de travail plus long. Le calcul est vite fait !

H.fr : En novembre 2015, vous organisiez le Défi day, quel était son objectif ?
HB : Sensibiliser les collaborateurs sur le thème « handicap et performance » et organiser une « rencontres pour l'emploi » avec nos alternants et intérimaires en situation de handicap. Cette journée était ouverte aux entreprises extérieures présentes sur le Polygone scientifique de Grenoble. Nous comptons réitérer ce rendez-vous annuel avec l'objectif d'essaimer nos bonnes pratiques mais aussi, parce que nous n'avons pas la science infuse, d'apprendre des autres.

H.fr : Vous n'êtes donc pas seuls. Grenoble s'illustre particulièrement dans le domaine de l'accessibilité puisqu'elle a été désignée ville la plus accessible de France en 2014 par le baromètre annuel de l'APF…
HB : Comme je vous le disais, il y a une longue tradition dans l'accueil des personnes malades ou handicapées. Et puis Grenoble a eu, de 1965 à 1983, un maire, Hubert Dubedout, particulièrement engagé sur la question du handicap. L'un de ses élus était d'ailleurs en fauteuil roulant. Il est à l'origine du tramway et des premiers bus à plancher surbaissé et a mené de nombreuses actions dans ce domaine. Et puis, on ne s'en doute pas toujours, c'est la ville la plus plate de France, ce qui facilite l'accessibilité !

H.fr : Ceux qui le souhaitent pourront s'en rendre compte par eux-mêmes puisque les 23 et 24 septembre 2016, le CEA ouvre ses portes à l'occasion des « Journées de la mobilité durable »…
HB : Oui, en partenariat avec d'autres entreprises du Polygone scientifique, nous organisons un Village de l'accessibilité. Le site sera ouvert au grand public avec de nombreuses innovations et mises en situation : un parcours accessible ou avec canne blanche, la présence d'un chien-guide… Un événement super ludique à destination des scolaires, du grand public comme des professionnels.

© CEA Grenoble

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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