Handicap.fr : Le gouvernement a promis une revalorisation de l'AAH dès 2018. En savez-vous plus ?
Véronique Bustreel : Nous avons, à ce jour, une vision très limitée car il nous faudra attendre le projet de loi de finances, entre la mi et la fin septembre, pour en savoir plus.
H.fr : Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat en charge du handicap, annonçait, le 19 juin 2017 (article en lien ci-dessous), une augmentation "massive" et "concrète". Les 100 euros promis par le candidat Macron ?
VB : 100 euros pour l'AAH à taux plein, c'est en effet sa promesse de campagne. Maintenant, on évoque une AAH à 900 euros, soit 90 euros. Le gouvernement dit aujourd'hui qu'il y "travaille". Selon quelles modalités, nous ne le savons pas.
H.fr : Les annonces semblaient pourtant sans ambiguïté...
VB : Je ne suis pas aussi sereine que vous : pas engagement sur le calendrier ni le montant dès maintenant. Le gouvernement multiplie les déclarations mais reste dans le flou, avec le risque de susciter de grands espoirs qui pourraient bien leurrer de nombreuses personnes handicapées. Nous devons rester vigilants. On dénombre un million d'allocataires de l'AAH, ce qui signifie, au bas mot, une enveloppe supplémentaire de 100 millions d'euros. Dans la conjoncture actuelle ? Les machines doivent tourner à plein régime à Bercy. Le principal verrou, c'est en effet le ministère des Finances ; c'est lui qui a les clés. Nous attendons un engagement majeur...
H.fr : Et pour l'AAH différentielle ?
VB : Comme le différentiel est mécanique, les montants seront réévalués au prorata.
H.fr : Votre inquiétude, c'est aussi l'impact de cette revalorisation sur ce qu'on appelle les "droits connexes".
VB : En effet, autour, notamment, du logement, de la santé et d'autres types de droits qui sont soumis à des plafonds de ressources. L'augmentation massive de l'AAH pourrait écraser d'autres droits, par exemple l'Aide à la complémentaire santé qu'on ne touche qu'en-deçà d'un certain plafond de revenus (article en lien ci-dessous) ou l'aide alimentaire. En d'autres termes, les bénéficiaires d'une AAH à 900 euros pourraient perdre le bénéfice de certaines prestations si les plafonds ne sont pas réévalués. C'est à dire perdre d'un côté ce qu'on a gagné de l'autre !
H.fr : Rien ne filtre du côté du ministère ?
VB : Rien du tout. Avec les gouvernements précédents, même si nous n'étions pas toujours d'accord, il y avait une certaine transparence. En ce moment, c'est plutôt l'omerta, ce qui ne fait que décupler notre inquiétude.
H.fr : En admettant que cette augmentation soit en effet "massive", vous revendiquez d'aller plus loin encore...
VB : En effet, 900 euros c'est un progrès mais la situation de pauvreté des personnes handicapées reste inacceptable. Nous visons, au minimum, la sortie du seuil de pauvreté qui, en France, est à 1 008 euros.
H.fr : Mais avec l'un des deux compléments de l'AAH, la majoration pour la vie autonome (104,77 euros par mois en 2017) ou le complément de ressources (179,31 euros), on atteindrait ce montant.
VB : Oui, sauf que, d'une part, tout le monde ne touche pas l'un de ces deux compléments -cela ne concerne que 200 000 personnes sur le million de bénéficiaires de l'AAH-, d'autre part, faut-il le rappeler, ces compléments sont fléchés et visent à favoriser la vie autonome dans un logement indépendant pour des personnes qui sont dans l'incapacité de travailler. A cet égard, nous avons été choqués par les propos de Sophie Cluzel lors de son audition à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, laissant presque entendre que la "prise en compte circonstanciée" actuelle serait satisfaisante (complément d'AAH et prise en compte des revenus du conjoint).
H.fr : La pension d'invalidité n'est jamais évoquée. Sera-t-elle réévaluée ?
VB : Ce n'est apparemment pas à l'ordre du jour. Elle dépend de la Sécurité sociale et ses modalités d'attribution sont très différentes. Elle a bénéficié d'une légère indexation au cours des dernières années mais qui reste vraiment marginale.
H.fr : Certaines personnes percevant une pension d'invalidité sont pourtant, elles aussi, en dessous du seuil de pauvreté...
VB : Il y a environ un million de personnes bénéficiaires de la PI. Son calcul est complexe (il dépend du taux d'invalidité, de la durée d'affiliation à la Sécurité sociale et des salaires moyens perçus) et ses montants variés. En France, un peu moins de 70 000 personnes perçoivent l'allocation supplémentaire d'invalidité qui s'adresse à celles ayant des petites pensions. Il nous faut, en effet, agir davantage pour elles. Ainsi, lors des négociations autour de la prime d'activité, nous avons réussi à obtenir un arbitrage favorable pour ses bénéficiaires qui travaillent (environ 200 000 personnes).
H.fr : Une demande récurrente et insistante, c'est également la désindexation des revenus du conjoint pour les bénéficiaires de l'AAH. En d'autres termes qu'ils puissent disposer de moyens propres sans dépendre de leur conjoint. Y-a-t-il un quelconque espoir de ce côté ?
VB : C'est une priorité de l'APF depuis des années. Nous militons en effet pour l'émancipation des personnes, pour un "revenu" individuel qui ne soit pas assujetti aux revenus du conjoint. En gros, dès lors que les revenus du conjoint sont supérieurs à 2 000 euros, vous ne percevez plus un centime d'AAH. Ce n'est pourtant pas le Pérou ! Nous demandons la revalorisation de ce plafond. Mais il faut surtout mettre fin à ces situations de dépendance au sein du couple qui sont inacceptables, obligeant à la solitude ou à la pauvreté, au mensonge, à la séparation ou à la précarité.
H.fr : Cela arrive souvent ?
VB : Nous accompagnons un grand nombre de personnes qui se retrouvent avec des trop perçus car ils ne sont pas forcément au courant de cette situation ; ils nous disent : "Bah, nous ne sommes pourtant pas mariés !". Cela nourrit aussi un système malsain où certains couples doivent vivre séparés, conserver un logement chacun, avec tous les frais que cela engendre, ou se cacher.
H.fr : Le revenu individuel, est-ce un projet utopique ?
VB : Pas utopique mais forcément coûteux. Le revenu individuel, c'est la route que nous devons tracer. Ce n'est pas une autoroute, on ne va pas y arriver direct, nous le savons, mais on ne peut pas accepter qu'une personne handicapée soit dépendante d'un tiers. Avec des conséquences parfois épouvantables, des situations de contraintes et de violence familiales rendant la personne handicapée plus vulnérable.
H.fr : L'APF s'est rendue en juillet à New-York pour témoigner devant l'ONU. Quels étaient les enjeux ?
VB : C'était un évènement important dédié au développement durable auquel nous avons participé aux côtés d'autres organisations, et notamment du Forum européen des personnes handicapées. Une partie du débat était consacrée aux personnes handicapées avec l'objectif de les sortir de la pauvreté. Les Etats se sont fixé une feuille de route pour les 15 prochaines années. La France doit être au rendez-vous de cet agenda 2030. Cela peut paraître loin mais ce combat pour zéro personne handicapée sous le seuil de pauvreté vaut la peine d'être mené.
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