Aujourd'hui, Philippe, vous allez tenter un truc que vous n'avez jamais fait. Votre chronique façon comédie musicale...
Oui, allez, je me lance. (Sur la chanson de Renaud). « C'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme. Moi, la mer, elle m'a pris. Je me souviens, un mardi. »
Jolie performance ! Mais c'est quoi le message ?
Le message, c'est que, moi, la mer elle m'a pris, avec mon handicap. Elle m'a redonné des ailes et, en quelque sorte, sauvé... On la dit souvent capricieuse, parfois cruelle, mais elle sait aussi se montrer bienveillante à l'égard des personnes handicapées. Et de nombreuses initiatives leur permettent de prendre le large.
Alors vous n'êtes donc pas un modèle unique, des handi-amphibies comme vous, il y en a d'autres ?
Oui, plein d'autres ! L'eau est un support précieux qui permet des facéties dans tous les domaines. Pourvu que ça mouille ! On a vu des personnes paraplégiques faire du surf portées dans un harnais, un marin amputé se lancer sur la Route du Rhum, un nageur sans bras pratiquer la plongée, une sportive atteinte de sclérose en plaques tenter le tour de France à la rame et même un chien accompagner des personnes handicapées sur une planche de surf. Dans le grand bleu, c'est vraiment le délire !
Vous avez vous même tenté l'expérience avec l'association Norm'HandiMer...
Oui, en juin 2015. Cette association a été créée avec l'objectif de proposer la pratique et découverte de la voile à des personnes handicapées et valides, y compris en compétition. Ils ont tout fait de A à Z, en commençant par la construction de leur bateau, un School.39, avec la participation de personnes handicapées. Il est entièrement "pensé" pour accueillir tous les publics. Après un hiver sur cale sèche, le Norm'handie reprendra la mer le 2 juin 2016.
A noter que, si vous êtes intéressés pour partager cette belle aventure, l'association recherche des bénévoles dans la région de Fécamp.
Ce bateau, le Norm'handie, a d'ailleurs participé en 2015 à une incroyable aventure, IMPROtransmanche ? De quoi s'agit-il ?
Elle est née à l'initiative d'éducateurs dans un établissement spécialisé pour l'accueil de jeunes de 14 à 20 ans avec une déficience mentale de Fécamp. Ils naviguent tous les jeudis avec leur petit groupe voile. Mais, dès 2011, ils ont décidé de larguer les amarres en proposant à leurs jeunes une traversée vers l'Angleterre, d'où leur nom IMPROtransmanche. Deux bateaux à l'époque, puis 7 en 2013 et 15 en 2015, avec même la présence d'un vieux gréement. Ils comptent renouveler cette expérience en juin 2017 avec, à nouveau, une quinzaine de bateaux et jusqu'à 100 enfants.
Il y a une association qui vous tient particulièrement à cœur, c'est Cap'Handi.
Oui, elle est toute récente puisqu'elle a vu le jour en décembre 2015. Son but est de de faire naviguer, sur un voilier First 40,7, en voile hauturière ou en croisière d'un à trois jours, des personnes en situation de handicap. Le voilier, ancré dans le port de la Rochelle, est actuellement mis à la disposition de l'association Yakapartir qui gère les sorties pendant l'été.
Cap'handi perpétue un pari un peu fou...
Oui une incroyable aventure humaine et sportive qui a débuté, en 2014, par le pari du skippeur Christophe Souchaud et de l'association ASSHAV (Association sportive sociale des handicapés et adhérents valides) de participer à la Route du Rhum. "Solitaire" car il a fait, seul, la course jusqu'en Guadeloupe, et "solidaire" parce qu'il est revenu en métropole en navigant avec un équipage un peu particulier puisqu'il était composé de personnes paraplégiques. Ce même voilier poursuit donc sa course et, aujourd'hui, grâce à l'association Cap'Handi, il est mis à la disposition des personnes handicapées pour réaliser leurs envies de grand large, d'embruns et de liberté iodée.
Et puis, il y en a qui ont décidé de se jeter directement à l'eau...
Oui, quelques poissons fous comme moi qui, en dépit du handicap, n'ont pas peur de braver la mer. C'est le cas de Frank Bruno, une force de la nature. Il a été amputé de la jambe droite à l'âge de 18 ans alors qu'il servait sur le porte-avions Foch ; un avion de chasse a roulé sur sa jambe. Ce qui ne l'empêche pas d'être scaphandrier professionnel, sauveteur en mer, sportif de haut niveau. Il a décidé de rester fidèle à sa nature et de surprendre le monde. Il a même bouclé, en janvier 2006, une traversée de l'Atlantique à la rame. 54 jours en mer...
Frank Bruno qui a créé sa propre association, "Bout de vie"...
Elle propose des stages de plongée aux personnes souffrant d'un handicap, et notamment amputées. Cette association a choisi comme symbole un dauphin dont la queue est détachée du corps. Son message est simple : les personnes valides n'ont pas le monopole de l'exploit.
Mais la plongée ce n'est quand même pas recommandé à toutes les personnes handicapées…
Il faut évidemment prendre quelques précautions mais j'en suis la parfaite illustration. Je l'ai testée plusieurs fois, en Papouasie, dans la mer Rouge, et ce sont vraiment des sensations incroyables, presque en état d'apesanteur. Il y a de plus en plus de clubs qui ont compris que c'était possible et acceptent d'accompagner des personnes handicapées. On les appelle les « handisub ». Pour s'en convaincre, il suffit de taper « handiplongée » dans un moteur de recherche.
C'est souvent comme cela que ça se passe ; un sportif handicapé parvient à réaliser un exploit personnel, et décide d'ouvrir la voie en mettant son expérience au profit de ceux qui sont dans la même situation.
Oui, en effet. C'est aussi le cas de Damien Seguin en voile. Il est né sans main gauche mais a réussi à se faire une place dans le milieu très fermé des marins. C'est lui qui était le porte-drapeau de l'équipe de France aux Jeux paralympiques de Londres. Il est arrivé 8ème de la Route du Rhum en 2014 et participe cet été à son 2ème tour de France à la voile. Mais il a souhaité partager sa passion en créant l'association "Des pieds et des mains", qui entend rendre la voile accessible aux personnes à mobilité réduite et promouvoir les sports nautiques pour tous. Par exemple, sur les étapes du Tour de France, cet été, des baptêmes de voile seront proposés aux personnes handicapées sur un petit catamaran.
Et pour ceux qui n'ont pas le pied marin ? Comment profiter de la mer depuis la terre ferme ?
Il existe une association, Handiplages, qui recense tout un réseau de plages adaptées qui proposent du matériel de mise à l'eau mais également des loisirs pour les estivants handicapés. Une cinquantaine de villes du littoral se sont déjà engagées dans cette démarche. Handiplages dispose également d'un label, qui distingue 4 niveaux de qualité d'accessibilité, symbolisés par des roues marines. Sur son site, vous pouvez trouver une carte de France des plages accessibles, avec un descriptif des aménagements proposés.
Quels peuvent être ces aménagements ?
Par exemple des tiralos, sorte de sièges adaptés qui, équipés de bouées, sont tirés jusqu'à la mer. Ou encore des tapis qui permettent de rouler plus confortablement dans le sable. C'est aussi la présence de toilettes et de douches accessibles ou encore des places de stationnement réservées. Et puis pas seulement pour les personnes avec un handicap moteur ; certaines ont mis en place des systèmes audioplage qui permettent aux personnes aveugles de se baigner en toute autonomie. Les baigneurs sont équipés d'un microémetteur sous forme d'un bracelet qui leur permet de se repérer et d'alerter en cas de danger.
L'eau, la mer, c'est donc vraiment un univers où l'on se sent bien ?
Oui, j'en sais quelque chose. Elle a été un outil de résilience important. Vous savez, au début de notre existence, nous sommes plongés dans un liquide pendant neuf mois. Alors, pour de nombreuses personnes qui vivent avec un handicap, l'élément liquide offre un réel retour au bien-être. Ils sont allégés par la poussée d'Archimède. Dans l'eau, c'est vraiment un moment de plénitude. D'ailleurs, le milieu médical l'a bien compris puisque, dans la plupart des centres de rééducation, on trouve désormais une piscine.