*En charge de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l'égalité
Handicap.fr : A quelques jours d'une année nouvelle, quelles ont été les actions fortes menées par le Défenseur des droits, notamment en matière de handicap en 2015 ?
Patrick Gohet : J'en vois trois principales. Le point fort de ce début d'année 2015 a été le bilan des actions menées depuis 10 ans par l'ex Halde devenue ensuite Défenseur des droits. L'autre grand rendez-vous, c'était évidemment, en février, l'anniversaire des 10 ans de la loi handicap de 2005 à l'occasion duquel nous avons établi le bilan effectif de l'accessibilité. Je veux souligner aussi que notre institution qui a en charge la défense des droits de l'enfant a rendu public, le 20 novembre, un rapport portant sur « enfants invisibles », ces mineurs handicapés placés dans les services de protection de l'enfance.
H.fr : Et la troisième grande action ?
PG : Parce que c'est l'organisme qui a été choisi par le Gouvernement français pour le présider, le Défenseur des droits a réactivé le comité de suivi de la mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l'ONU. Nous avons décidé d'axer ce travail sur quelques points importants.
H.fr : Quels sont ces points prioritaires choisis par la France ?
PG : Tout d'abord l'accessibilité envisagée comme un moyen d'accéder aux droits. Et puis la question de la capacité juridique des personnes handicapées puisque la législation française est en deçà de ce que préconise l'ONU, même si elle a fait des progrès.
H.fr : Vous avez un exemple ?
PG : Oui, en France, un juge peut, par exemple, être conduit à priver une personne handicapée de son droit de vote. Plutôt que de recourir à une protection qui consiste à décider à sa place, pourquoi ne pas l'accompagner pour qu'elle soit en mesure de prendre ses décisions elle-même ? D'une manière générale, la question du handicap doit être approchée par le biais de la notion de « droits ». Faire savoir aux personnes concernées qu'elles en ont, leur donner les moyens de s'en emparer et surtout de les exercer de façon effective, voilà l'une de nos missions essentielles.
H.fr : De quelle manière le Défenseur des droits peut-il contraindre les pouvoirs publics à faire appliquer la convention de l'ONU ?
PG : La France l'a ratifié en 2011. Elle devait produire un premier rapport un an après mais elle ne l'a toujours pas réalisé. Nous voici quatre ans après la date !
H.fr : L'ONU n'a donc pas la possibilité de sanctionner les pays qui font la sourde oreille ?
PG : Disons que la France sera probablement « admonestée » lorsqu'elle livrera son premier rapport ; et l'ONU lui demandera de se mettre en conformité.
H.fr : Etre « admonestée » par l'ONU, ce n'est pas très contraignant !
PG : C'est tout de même négatif en termes d'image.
H.fr : La discrimination liée au handicap est-elle fréquente dans notre pays ?
PG : Parmi les 20 critères de discrimination reconnus par la loi, le handicap arrive en 2e position, après l'origine (25%). Cela représente 20% des saisines liées à une discrimination que nous traitons. Cette proportion est constante.
H.fr : Quels sont les domaines où cette discrimination est la plus importante ?
PG : Principalement l'emploi : des parcours professionnels pas respectés, des postes non aménagés… Mais nous traitons également de dossiers portant sur l'accès aux biens et aux services, dossiers dans lesquels des personnes se voient refuser un crédit, un logement ou un voyage par exemple, du seul fait de leur handicap.
H.fr : Quels liens entretenez-vous avec les associations de personnes handicapées ?
PG : Les comités d'entente du Défenseur des droits sont des instances de dialogue constituées d'acteurs de la société civile. L'un d'entre eux est composé de représentants des associations du champ du handicap. Par ailleurs, nous veillons, avec Jacques Toubon, Défenseur des droits, à entretenir des relations régulières et confiantes avec l'ensemble des acteurs du terrain sur tout le territoire.
H.fr : Certains se plaignent des délais de réponse parfois très longs de vos services…
PG : Nous recevons plus de 100 000 dossiers par an. Un quart d'entre eux sont des demandes d'information ou ne relèvent pas de nos compétences. Nous traitons donc environ 70/75 000 saisines chaque année. Le traitement de chaque cas est rigoureux, appuyé sur le droit et soumis au « contradictoire », c'est-à-dire que tous les points de vue sont entendus. Cette rigueur dans l'approche explique en partie les délais. Par ailleurs, parfois, il nous manque des pièces et nous devons compléter avec le réclamant. Ensuite, nous nous adressons au mis en cause, qui bénéficie d'un délai pour donner sa réponse. Si la discrimination est avérée, nous proposons une mesure de réparation ou de conciliation. Nous disposons d'un pouvoir d'investigation, de mise en demeure, de saisine de la justice…
H.fr : Donc, en moyenne, quels sont ces délais ?
PG : Entre un et onze mois selon la complexité du dossier, même si, en la matière, une moyenne n'a pas grande signification. Tout est perfectible et il y a certainement encore des progrès à réaliser. Les réclamants ont évidemment la conviction qu'ils sont dans leur bon droit, aussi ils ne comprennent pas toujours que la procédure n'aille pas plus vite. Les appels que reçoit notre plateforme téléphonique (ouverte de 8h à 19h) témoignent de cette attente qui parfois, parce que la personne est « à bout », se nourrit d'une impatience bien compréhensible.
H.fr : A qui donnez-vous le plus souvent raison ?
PG : Dans la majorité des cas au réclamant. Si on lui donne raison, c'est évidemment parce qu'il est dans son droit et que nous estimons que la discrimination est réelle. Nous n'appuyons pas nos décisions sur une posture militante mais sur une analyse juridique experte.
H.fr : Votre rôle est-il aussi d'interpeler le gouvernement ?
PG : La loi organique de mars 2011 qui définit les compétences du Défenseur des droits prévoit que nous pouvons être consultés par le Gouvernement et que nous avons la possibilité de transmettre nos avis. Le Défenseur des droits peut également être auditionné par l'Assemblée nationale ou le Sénat. L'institution fait un usage large de cette compétence : nous sommes régulièrement amenés à exprimer nos opinions devant les commissions parlementaires au cours de l'examen des projets et propositions de lois. En matière de handicap, au cours de l'année écoulée, nous avons fait connaître notre analyse sur certains sujets, par exemple la place des enfants handicapées dans les activités périscolaires, ou encore nos réserves sur l'ordonnance relative aux reports d'accessibilité, à la mise en place des Ad'Ap, aux procédures dérogatoires.
H.fr : Quel est le véritable statut du Défenseur des droits ?
PG : C'est une autorité constitutionnelle indépendante. A ce titre, nommé pour six ans, non reconductible, il est irrévocable. Il ne reçoit aucune instruction. Lui et son équipe n'ont pour seul objectif que de faire respecter les droits et libertés de chacun, quel que soit son statut. Veiller à l'égalité de traitement est à ce titre une de nos missions fondamentales.
H.fr : Où les saisines peuvent-elles être déposées ?
PG : Nous avons voulu que le chemin pour accéder à nos services soit simple pour tous. Aujourd'hui, un citoyen qui veut nous contacter ou nous alerter peut soit nous écrire au siège (7 rue Saint Florentin, 75008 Paris), soit renseigner un formulaire sur notre site Internet www.defenseurdesdroits.fr ), soit enfin, et c'est essentiel en matière de proximité, contacter l'un de nos 400 délégués –dont 80 sont particulièrement formés aux questions du handicap- répartis dans 600 points d'accueil sur l'ensemble du territoire. Leurs coordonnées figurent sur notre site mais également dans les mairies, les maisons d'accès aux droits ou encore les relais associatifs. Il faut enfin préciser que nos services sont entièrement gratuits.
© DSAF-DPL
Propos recueillis par Emmanuelle Dal'Secco journaliste Handicap.fr