Prestations sociales : excès de la chasse aux fraudes !

Entre fraude délibérée et erreur, où se trouve le curseur ? Le Défenseur des droits dénonce les excès de certains organismes qui sanctionnent parfois des usagers de bonne foi mais mal informés. Pour les protéger, il fait 16 recommandations.

• Par
Illustration article Prestations sociales : excès de la chasse aux fraudes !

Un discours politique décomplexé affirme que la fraude bat son plein en France. Le rapport du Défenseur des droits, rendu public le 7 septembre 2017, intitulé Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les droits des usagers ?, pourrait bien déconstruire certaines idées reçues sur ce sujet. En effet, Jacques Toubon signale des « dérives et excès »… de la part des organismes concernés ! Ce rapport concerne, notamment, les bénéficiaires de l'AAH (allocation adulte handicapé), de l'AEEH (allocation d'éducation à l'enfant handicapé), du RSA, de l'ASPA (ex-minimum vieillesse)…

Usager pris en tenaille

Le rapport fourmille en effet d'exemples illustrant « de nombreuses atteintes aux droits des usagers de services publics ». Une personne âgée à laquelle on refuse l'ASPA parce qu'elle a oublié de déclarer un compte d'épargne crédité d'un peu plus de 27 euros, un retraité installé en Algérie obligé de rentrer en France, gravement malade, pour « certifier de son existence » auprès de la caisse de retraite... Depuis 2014, le Défenseur des droits a observé une hausse « significative » des réclamations des bénéficiaires, « liées au durcissement de cette lutte ». Il affirme que les usagers sont pris en tenaille entre une procédure de déclaration propice aux erreurs et un dispositif de lutte contre la fraude de plus en plus étoffé.

Seulement 3% du montant de la fraude globale

Sans remettre en cause la « légitimité » de cette politique publique, il rappelle que la fraude aux prestations sociales (dans les branches maladie, retraite, famille et à Pôle emploi) ne représente que 3% du montant total de la fraude détectée en 2015, soit 677,76 millions d'euros. A comparer aux 21,2 milliards d'euros pour la fraude fiscale ! Son montant est également beaucoup moins important que le « non recours » (personnes qui ne demandent pas une prestation à laquelle elles sont éligibles), estimé à près de 4 milliards d'euros en 2010 pour le seul RSA.

Notion de droit à l'erreur

Exemples à l'appui, Jacques Toubon regrette que l'erreur et l'oubli soient parfois confondus avec une volonté manifeste de duper, même si les organismes de protection sociale interrogés affirment faire la différence. La loi accorde de larges pouvoirs à ces derniers (caisses d'allocations familiales (CAF), d'assurance retraite et de santé au travail (CARSAT), régime social des indépendants (RSI), assurance maladie (CPAM), mutualité sociale agricole (MSA) ou agences Pôle emploi) et leur permet de sanctionner financièrement les déclarations qui s'avèrent inexactes. Avec parfois des dérives !

Des remboursements considérables

L'impact de telles sanctions, telles que l'obligation de remboursement d'indus considérables par rapport au budget du foyer ou la rupture des ressources, sont d'autant plus dévastateurs qu'ils atteignent une population déjà fragilisée qui, parfois, ignore ses droits. Dans ces circonstances, le Défenseur considère que la généralisation d'un « droit à l'erreur » pour les demandeurs et bénéficiaires de prestations sociales pourrait constituer « une solution opportune » pour garantir un meilleur respect de leurs droits. Un projet de loi sur le « droit à l'erreur », promesse de campagne d'Emmanuel Macron, qui concernerait particuliers et entreprises, est attendu dans les prochaines semaines.

16 recommandations

Une précédente enquête sur l'accès aux droits portant sur les services publics, publiée en mars 2017, révélait que les personnes en situation de précarité économique et/ou sociale rapportent plus de difficultés pour résoudre un problème avec une administration ou un service public et qu'elles sont plus susceptibles d'abandonner leurs démarches. À ce titre, le Défenseur des droits a élaboré une fiche intitulée Quels sont mes droits ? (en lien ci-dessous) pour que les usagers suspectés de fraude puissent faire valoir les leurs. Parmi les 16 recommandations qu'il adresse dans son nouveau rapport à tous les organismes en charge des prestations sociales, Jacques Toubon souligne le besoin de mieux informer les allocataires, renforcer les droits de la défense  et préserver la dignité des personnes.

Du côté de la CAF

De son côté, fin février 2017, la CAF (Caisse allocation familiale), qui délivre notamment l'AAH, lançait une grande campagne de communication nationale sur la fraude insistant sur le fait que la politique de contrôle a considérablement été développée par le réseau au cours de ces dernières années, avec des résultats substantiels. Chaque année, plus d'un allocataire sur deux est contrôlé. En 2016, 1,16 milliard d'euros ont pu ainsi être régularisés (comprenant les fraudes, les erreurs et les rappels). Parmi eux, 42 959 fraudes « manifestes » ont été détectées, ce qui représente… 0,36% de la population des allocataires ! Mais 28% concernent également des « rappels », c'est-à-dire de l'argent que doivent verser les Caf à ceux qui ne percevaient pas assez. Être contrôlé, c'est donc parfois au bénéfice de l'usager !

© Andrey Popov/Fotolia

Partager sur :
  • LinkedIn
  • Twitter
  • Facebook
"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
Commentaires0 Réagissez à cet article

Thèmes :

Rappel :

  • Merci de bien vouloir éviter les messages diffamatoires, insultants, tendancieux...
  • Pour les questions personnelles générales, prenez contact avec nos assistants
  • Avant d'être affiché, votre message devra être validé via un mail que vous recevrez.