Le texte, adopté par le Parlement le 30 avril et promulgué le 9 mai 2014, avait été inspiré d'un geste de solidarité dans la Loire : Christophe Germain, salarié de Badoit, avait bénéficié de 170 jours de RTT donnés par ses collègues, grâce au feu vert de son entreprise. Il avait ainsi pu rester au chevet de son fils de 11 ans, Mathys, atteint d'un cancer et hospitalisé à domicile jusqu'à son décès fin décembre 2009. "Ce temps qu'on m'a donné, ça a été de l'or. Ne plus s'occuper du travail à un moment où on a un enfant gravement malade, sachant qu'on sera rémunéré, qu'il n'y a pas de perte de salaire : on peut se consacrer 100% à l'enfant", raconte-t-il à l'AFP. Mais "il n'y avait pas de cadre légal à l'époque", rappelle-t-il. "C'est pour ça qu'on s'est battus pour cette loi", qui portera le nom de Mathys.
Pour un enfant de moins de 20 ans
Le texte, porté à l'époque par le député UMP de la Loire Paul Salen, autorise un salarié "en accord avec l'employeur" à "renoncer anonymement et sans contrepartie" à des jours de repos au bénéfice d'un autre salarié de l'entreprise. Le bénéficiaire, qui garde sa rémunération, doit avoir un enfant de moins de vingt ans "atteint d'une maladie, d'un handicap ou victime d'un accident d'une particulière gravité rendant indispensable une présence soutenue". Le don ne peut pas se faire sur les quatre premières semaines de congés payés mais sur la cinquième ou les RTT.
Don de 1,7 jour en moyenne
"Lorsque c'est connu, c'est appliqué", constate aujourd'hui M. Salen. Le député recense "environ deux à trois cas par mois", aussi bien dans des entreprises de 35 à 40 salariés que de plus grands groupes. Chez PSA, qui avait signé un accord dès juin 2014, il y a par exemple eu "3 cas de 20 jours", selon la direction. En janvier 2015, les employés d'une société de transport frigorifique du Puy-de-Dôme ont aussi offert à un collègue 262,5 jours de congés payés pour qu'il puisse s'occuper de sa fille de six ans atteinte de leucémie. En moyenne, selon M. Salen, le don par salarié s'élève à 1,7 jour. "Ce n'est pas beaucoup, c'est pour ça que ça fonctionne", dit-il.
Pour les fonctionnaires ?
Le député déplore toutefois que le décret d'application ne soit pas encore paru pour les fonctionnaires. Mais la ministre de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, a assuré début avril 2015 que ce serait fait au mois de mai, après un appel lancé par un couple de policiers mulhousiens, dont la fille de cinq ans, Charline, est
atteinte d'une tumeur cérébrale incurable et n'a plus que quelques mois à vivre. Le décret, auquel les partenaires sociaux ont donné leur feu vert le 14 avril 2015, aura un effet rétroactif, a promis Mme Lebranchu : les parents concernés pourront acquérir les jours de RTT de leurs collègues pour compenser a posteriori des congés qu'ils auraient déjà pris.
Pour les enfants de plus de 20 ans ?
Dans le privé, certains dons se font aussi en marge du texte de loi, avec l'accord de l'employeur. Cela a été le cas récemment dans une entreprise de Saint-Etienne, Gibaud, spécialisée dans les produits orthopédiques et de contention. "En février, 116 salariés ont donné un jour de RTT à une collègue de travail parce que sa fille de 31 ans est gravement malade. Problème : on s'est vite aperçus qu'on était dans une démarche illégale parce que l'enfant avait plus de 20 ans", a expliqué à l'AFP l'entreprise de 360 salariés. Après avoir consulté des juristes, l'entreprise a fait signer aux salariés des attestations indiquant qu'"ils acceptaient de manière volontaire de donner un jour". "On était conscients des risques, mais on s'est dit franchement, si le salarié donne de manière volontaire des jours de RTT, pourquoi va-t-il se rétracter ? Et l'administration, est-ce qu'elle va nous dire quelque chose sachant qu'on parle quand même de solidarité ?" Après cette affaire, l'entreprise a voulu obtenir un "amendement à la loi Mathys" pour élargir la limite d'âge, mais n'a "pas vraiment eu de retour". Interrogé sur une éventuelle évolution de la loi, M. Salen est circonspect : "Tout le monde a besoin d'une présence familiale quand on est grièvement malade", mais seuls les enfants en ont besoin 24 heures sur 24, dit-il. Il dit aussi avoir "peur que les cas se multiplient et que l'effet de générosité" s'en trouve amoindri.
1 000 enfants en phase terminale
Au moment du débat parlementaire, certains élus avaient dit craindre que la loi crée des injustices pour les salariés ne pouvant pas collecter des jours de repos. Selon le député, "on sait aujourd'hui qu'on a environ 1 000 à 1 500 cas en permanence de familles qui ont des enfants en phase terminale. Et même si le texte ne donne aujourd'hui satisfaction qu'à 70% des familles, puisque 30% travaillent dans des petites structures, si on peut soulager déjà ces familles-là, c'est bien". "Avec le recul, on se dit qu'on a fait quelque chose qui nous a apporté", conclut de son côté M. Germain. Mathys, "c'est un enfant qui s'est battu (...). Nous, on ne voulait pas qu'il soit parti pour rien. Ce fut notre combat".
Par Charlotte Hill
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