* Hervé Allart de Hees, chef d'entreprise (Tadeo et Acceo), président du MEDEF (Mouvement des entreprises de France) 93 et 94 et secrétaire général du Conseil national du handicap.
Handicap.fr : Avant toute chose, l'emploi accompagné, c'est quoi ?
Hervé Allart de Hees : Selon la définition qu'en a donné le Président de la République lors de la Conférence nationale du handicap de mai 2016, le concept d'emploi accompagné, introduit dans le projet de loi Travail, s'adresse tant aux salariés handicapés qu'aux employeurs en milieu ordinaire, et propose un accompagnement pérenne et mobilisable à tout moment. Porté par le service public de l'emploi et ses partenaires, avec l'appui des Esat, il vise l'amélioration des conditions d'insertion professionnelle et la sécurisation sur le poste de travail de ces salariés.
H.fr : Cela satisfait-il le Medef ?
HAH : Non. Les deux amendements (N°4701 et 4742) en cours de débat sont inappropriés sur la forme car le sujet de l'emploi et handicap relève du champ du paritarisme.
H.fr : En d'autres termes ?
HAH : Une telle décision implique une concertation avec les partenaires sociaux, c'est-à-dire les syndicats et les entreprises, ce qui n'a pas été le cas. Ces amendements ont été déposés sans qu'à aucun moment ils n'aient été consultés. Les députés et le gouvernement ont œuvré dans leur coin. Alors, en d'autres termes, que l'entreprise et son salarié handicapé doivent pouvoir rester maître de la mise en œuvre du dispositif et choisir librement le prestataire afin d'en changer si nécessaire.
H.fr : Que reprochez-vous à l'emploi accompagné tel qu'il est envisagé pour le moment ?
HAH : D'où est-ce venu ? Du lobbying du médico-social car ce sont les grosses associations gestionnaires qui seraient en charge de l'accompagnement des travailleurs handicapés et des équipes au sein des entreprises ordinaires. C'est a priori ce qui est écrit dans le texte « accompagnement médico-social » mais c'est assez clair-obscur et cela donnera certainement matière à interprétation.
H.fr : Le médico-social est tout de même en bonne place dans ce domaine… Ses professionnels ont l'habitude d'accompagner les personnes handicapées. Cela parait assez logique de leur confier ce type de mission.
HAH : Bien sûr mais ça ne doit pas devenir son monopole. L'entreprise en milieu ordinaire, qui est quand même la première concernée, doit rester libre de ses choix. Nous recherchons en priorité de vrais professionnels de l'accompagnement dans l'emploi avec des objectifs de performance. L'autre point, c'est que c'est la CDAPH (Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées au sein des MDPH) qui va décider pour la personne handicapée, et cela touche donc à sa liberté individuelle.
H.fr : Mais vous imaginez donc des « job-coachs » issus du privé ? Comment avoir la garantie qu'ils proposeront des prestations adaptées et de qualité s'ils méconnaissent les particularités du handicap ? Ne risque-ton pas de voir apparaitre une génération spontanée de conseillers en tous genres qui n'auront pas les compétences ?
HAH : Je suis libéral par définition et considère que la loi du marché est capable de faire la sélection naturelle. Et lorsqu'on fait appel à des organismes agréés, on plombe cette problématique d'efficacité. Dans la « vraie vie » des entreprises, ne perdurent que celles qui sont compétentes !
H.fr : Vous affirmez donc que le médico-social n'a pas les compétences ad-hoc en matière d'emploi en milieu ordinaire ?
HAH : Il a évidemment une vraie légitimité dans son environnement mais quand on a affaire à une entreprise liée aux impératifs du marché, il faut avoir une lecture différente. Il couvre déjà un spectre suffisamment large et décide aujourd'hui de contrôler l'emploi vers le milieu ordinaire. Il faut, je le répète, laisser plus de liberté dans ce champ de l'accompagnement.
H.fr : Le système plus libéral que vous proposez a-t-il fait ses preuves ailleurs ?
HAH : Je vais vous donner l'exemple d'un entrepreneur français qui a eu besoin de recruter des personnes handicapées pour un restaurant qu'il ouvrait en Angleterre ; il a eu un nombre impressionnant de réponses et toutes venaient du secteur privé. A l'étranger, certains pays sont plus dans une logique de type « marchand » avec des prestataires dédiés pour une réponse adaptée à leurs besoins.
H.fr : Pourquoi pensez-vous que le secteur médico-social souhaite se saisir de cette question de l'emploi en milieu ordinaire ?
HAH : Parce que la désinstitutionalisation est en marche et qu'il lui faut trouver de nouveaux débouchés. Mais ce n'est pas parce qu'on est un bon éducateur, un bon psychologue ou un bon ergothérapeute qu'on fera un bon job-coach pour un besoin professionnel.
H.fr : Alors, que proposez-vous ?
HAH : La réglementation, on en meurt ! Alors plutôt que de légiférer, il faudrait encadrer davantage et créer un référentiel des acteurs qui permette d'avoir un avis et des garanties comme sur les sites marchands. Internet a cela de bon qu'on peut évaluer et noter les performances des organisations. L'Agefiph ou le Fiphfp par exemple, devraient être pourvoyeurs de références ou animer une plateforme pour évaluer la pertinence des offres.
H.fr : Vous dites que la réglementation on en meurt mais, d'un autre côté, vous reprochez au projet de loi travail El Khomri de ne pas avoir de volet spécifique handicap.
HAH : Non, ce n'est pas un reproche c'est un constat. En 2012, Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre, avait annoncé que tout nouveau texte de loi devrait comporter un volet handicap, « sauf si ce n'était pas justifié ». Dans la loi travail en discussion, il n'y a pas de volet structurant, volet qui, pour autant, était justifié. Il y a un vrai sujet aujourd'hui, plus de 10 ans après la loi de 2005, mais pas de réflexion sur le fond.
H.fr : Il ne faut pas se voiler la face, le patronat ne se préoccupe pas vraiment des questions de handicap.
HAH : Je suis d'accord avec vous sur le fait que c'était un « non sujet » dans le passé mais, depuis deux ans, il y a une vraie réflexion au sein du Medef et un engagement sur ce sujet pour, une fois pour toutes, trouver les bons moyens et les bonnes réponses. Et puis, il y a les faits ; par exemple, sur un autre volet, les magasins qui se sont rendus réellement accessibles ont constaté une augmentation de leur chiffre d'affaires de 20 à 30%. Il faut désormais avoir une lecture « économique » du handicap. Je suis moi-même passionné par ce sujet, avec cette optique.
H.fr : Le Club house France (qui accompagne des personnes avec un handicap psychique vers la socialisation et l'emploi), interrogé sur l'emploi accompagné prétend que le texte est encore en pourparlers, que le choix des prestataires dédiés à cet accompagnement n'est pas encore tranché et que la volonté de François Hollande est vraiment de décloisonner en profondeur et de faire rentrer l'emploi dans une approche plus globale, hors de l'univers sanitaire… Vous n'y croyez donc pas ?
HAH : On peut en effet régulièrement constater que l'on associe trop systématiquement handicap et santé dans le milieu du travail ; cette association est très mal vécue par les personnes handicapées.
H.fr : Comment voyez-vous l'avenir ?
HAH : On peut considérer que dans l'avion « emploi et handicap », il n'y a pas beaucoup de pilotes. C'est vraiment un problème de fond et on ne peut donc pas faire l'impasse sur l'un des principaux acteurs, ceux qui, in fine, recrutent, les entreprises. L'Agefiph a collecté plus de 10 milliards d'euros depuis sa création pour favoriser l'inclusion des personnes handicapées dans les entreprises privées or, même si beaucoup de choses ont avancé, elles sont toujours deux fois plus au chômage que le reste de la population. C'est inadmissible. C'est tout le système qu'il faut repenser !