« Tu as bien de la chance d'avoir trouvé du travail, on ne va pas en plus te payer ! ». Ce discours, Caroline Lhomme l'a souvent entendu après sa rupture d'anévrisme, trop souvent. Elle n'est pas la seule... Avant de devenir journaliste pour Handitec, elle a essuyé de nombreux refus. Les seules propositions qui se présentaient n'étaient pas rémunérées. « Le directeur d'une radio spécialisée sur le handicap m'a embauchée en tant que bénévole pour profiter de mes compétences sans me payer. Au début, j'ai accepté puis j'ai fini par lui claquer la porte au nez ».
Double voire triple discrimination
Même refrain pour Nathalie Paris, directrice de Ladapt Rhône-métropole de Lyon et malvoyante. « Quand je travaillais dans le bâtiment, mes collègues ne me prenaient pas au sérieux, j'avais du mal à me faire entendre. Mon patron s'attribuait même des tâches que j'avais accomplies. Parfois, on a tendance à accepter des attitudes inacceptables. Nous sommes donc, en partie, responsables de la non-valorisation de notre travail », estime-t-elle. Ces deux témoignages soulèvent un autre problème : l'autocensure. « Nous vivons dans une société de communication, dans laquelle il faut à tout prix se valoriser, mais comment faire si l'on n'y arrive pas ? », questionne Nathalie Paris. Certaines, comme Diane Goli, juriste au ministère des affaires sociales, ont même dû faire face à une triple discrimination : « Je suis une femme handicapée de couleur, vous imaginez ? », ironise-t-elle, ou encore Julie Boulanger, une guide malvoyante qui évoque son homosexualité. « Chemin de croix », « parcours du combattant »... L'accès à la vie active n'est pas un long fleuve tranquille, a fortiori lorsque l'on est en situation de handicap et, plus encore, femme.
Un parcours de combattante
Une dizaine de témoignages rythment la conférence d'ouverture de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH). Des femmes longtemps incomprises, usées par les préjugés mais toujours combatives. Pour ces « guerrières », le chemin qui mène vers l'emploi est bel et bien un « parcours de combattante ». Alors Ladapt a décidé de les mettre à l'honneur lors de cette 22ème édition, du 19 au 25 novembre 2018, puisqu'elle en a fait son thème majeur (article en lien ci-dessous). Fruit de sa collaboration avec l'association FDFA (Femmes pour le dire, femmes pour agir), la campagne #Touscitoyennes entend sensibiliser le monde du travail, en premier lieu, mais pas seulement. Pour Nicolas Nordman, adjoint à la maire de Paris en charge du handicap : « Ce sujet mérite la mobilisation de tous les acteurs : associations, pouvoirs publics, Etat, collectivités locales et tous les types d'entreprises ».
Des chiffres éloquents
Selon le 10ème baromètre sur la perception des discriminations, une personne handicapée sur deux déclare avoir été la cible de préjugés au travail. « La situation des femmes est encore plus problématique, déplore Jacques Toubon, Défenseur des droits. Elles subissent des discriminations qui combinent genre et handicap. L'ensemble de ces inégalités ont un impact sur la construction de leur avenir professionnel et sur leurs conditions de travail ». « Et le diplôme n'est pas forcément une sécurité ! », rebondit Diane Goli. En effet, elles sont plus nombreuses à avoir leur baccalauréat -28 %, contre 22 % pour les hommes- mais restent tout aussi éloignées de l'emploi. Au total, 57 % des femmes reconnues handicapées n'ont pas d'activité professionnelle : ni en emploi ni en recherche. Et lorsqu'elles arrivent à en trouver un, il est souvent peu qualifié. La faute à un système inégalitaire ? Jacques Toubon répond : « Oui ! Les métiers à prédominance féminine demeurent moins bien classés. Seulement 1 % des femmes handicapées sont cadres, contre 10 % des hommes ». Nathalie Paris fait partie des rares à occuper un poste « haut placé ». « A mes débuts, j'avais bien conscience d'être un peu atypique dans le paysage et, encore aujourd'hui, je suis confrontée à ce problème lorsque je me rends à des rencontres institutionnelles. »
Un sujet méconnu
Une réalité que beaucoup semblent ignorer… « Au départ, j'étais très étonnée que l'on me demande de témoigner à la table ronde de cette conférence. J'ai répondu : 'Femme et handicap ? Ce n'est pas un sujet ! La discrimination c'est le handicap en général.' » Après quelques recherches, Delphine Bellet, déléguée au handicap à la mairie de Paris, s'est rendu compte qu'elle avait tort. Une réaction que partagent d'autres invitées. « Tout comme Delphine, je ne voulais pas y croire, avoue Jaleh Bradéa, responsable RSE (responsabilité sociale des entreprises) pour le groupe de medias Vivendi. A notre échelle, nous souhaitons que nos chaînes TV soient représentatives de notre belle société française : diverse en couleurs, origines et handicaps. »
Déclarer son handicap ?
Au-delà du handicap, les inégalités hommes-femmes sont au cœur du problème. S'il n'est pas facile de cacher son sexe, faut-il déclarer son « autre handicap » à son employeur ? Pour Diane Goli, c'est un « gros dilemme : choisir entre se faire discriminer ou passer pour un menteur, voire un traitre lors de l'entretien. Dans mon cas, je le déclare avant l'entretien car j'ai un handicap visible, je ne pourrai pas le cacher bien longtemps. ». Nathalie Paris partage cet avis : « Si l'employeur le découvre à l'entretien, l'effet de sidération sera tel qu'il ne vous écoutera même plus. ». Elle tient cependant à nuancer en expliquant que chaque situation est différente. Julie Boulanger, elle, choisit de ne pas l'évoquer : « Cet élément se rattache à ma personne, tout comme mon homosexualité, et non à mon parcours professionnel. ». Alors que la question fait débat dans la salle, Fabienne Jaigu, conseillère handicap auprès du Défenseur des droits, tranche : « Il n'y a aucune obligation, c'est à vous de décider. Tout dépend du handicap et du poste convoité. Si aucun aménagement spécifique n'est à prévoir, inutile de l'indiquer. ». Une chose est sûre, « les femmes apportent une richesse au collectif de travail, affirme Christophe Roth, seul homme invité à cette table ronde et délégué national santé au travail et handicap au sein de la Confédération générale des cadres (CFE-CGC). 'Changer le regard', ce slogan est usé, fatigué, maintenant il faut changer le mode de réflexion et les structures pour permettre à chacune de s'exprimer dans la société. »