« Vous ne pouvez pas être autiste, enfin, vous êtes une femme ! », « Votre fille n'est pas autiste, elle est dépressive », « capricieuse »… Ces stigmatisations, ancrées depuis des décennies dans l'inconscient collectif mais aussi dans le corps médical, freinent la prise en charge des femmes concernées et peuvent avoir des conséquences dramatiques. Le diagnostic permet de prendre en considération son handicap et d'avancer, en connaissance de cause. Sans diagnostic, difficile de construire son identité, de comprendre l'origine de sa différence, bref d'être bien dans sa peau... S'en suivent alors des années de frustration, d'incompréhension et de déception qui peuvent, parfois, mener à une dépression. Cette question, rarement évoquée, était au cœur des débats du colloque Femme avant tout, organisé par l'Association francophone de femmes autistes (AFFA), le 14 mars 2019, à l'Assemblée nationale.
Difficultés diverses à l'école
Ces manquements relèvent du fait que les femmes et les hommes sont encore appréhendés selon des stéréotypes de genre bien présents. Certes, les femmes sont moins touchées par l'autisme car il existe des facteurs de protection féminin, d'ordre génétiques et hormonaux notamment. Mais on constate , malgré tout, « un biais de genre dans l'autisme », observe Marie-Pierre Rixain, députée et présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. En effet, à l'école, les filles autistes ont un comportement plus effacé et sont décrites comme timide, sage ou calme, elles se tiennent près des autres et les regardent, caractéristiques qu'on attend d'une petite fille bien élevée ; les femmes ont des difficultés plus « internalisées ». Elles mettent alors en place une « stratégie de camouflage » ou « d'imitation », et leur trouble passe inaperçu. A contrario, l'attitude « perturbatrice » des garçons, liée à des difficultés « externalisées », comme des troubles du comportement ou de l'impulsivité, attire l'attention. Les interlocuteurs de l'enfant, tels que les enseignants et le personnel des crèches, doivent donc être davantage sensibilisés au sujet. « La parole politique a un travail important d'évangélisation à effectuer, estime Marie-Pierre Rixain. Les députés que nous sommes doivent aussi être formés à l'autisme et à ses particularités au féminin ».
Evolution des approches médicales
Et ils ne sont pas les seuls… « Les méthodes, enseignements et approches médicales doivent aussi évoluer », affirme la députée. Tout comme les stéréotypes, la méconnaissance, empêchent les femmes de bénéficier d'un soutien adapté tout au long de leur vie. Plusieurs études mettent en évidence la prévalence du nombre de garçons autistes, environ une fille sur quatre à cinq, alors qu'elle pourrait être d'une sur trois, voire sur deux. Les médecins sont donc frileux et diagnostiquent difficilement les jeunes filles, d'autant que les tests cliniques ont été établis sur la base des manifestations de l'autisme au masculin. Chez les filles, « ils identifient plus facilement la dépression, sans comprendre qu'elle peut être liée aux difficultés sociales indues par l'autisme », poursuit-elle. Mais cette errance peut avoir des répercussions importantes dans la petite enfance, par exemple l'apparition de troubles anxieux généralisés ou obsessionnels compulsifs, d'automutilation, d'anorexie… Pour Marie-Pierre Rixain, la communauté médicale doit donc être « plus sensible » et « mieux formée aux différentes formes que peut prendre l'autisme et aux troubles associés ».
Structure de soutien
Face à ces incertitudes, nombre de patientes sont amenées à faire un autodiagnostic ou à fréquenter des structures spécialisées de leur propre chef, plutôt que des hôpitaux. Souvent au moment où leur enfant est, lui-même, détecté ; en observant ses troubles, elles se posent des questions… « De plus en plus de femmes pensent être autistes et prennent rendez-vous pour un diagnostic, constate Bertrand Le Baut, directeur du CRAIF (Centres de ressources autisme d'Île-de-France). Parmi elles, seule une sur deux est porteuse du trouble. » En 2018, le CRAIF a reçu 7 000 demandes, dont 74 % à ce sujet. Outre leurs missions d'écoute, de conseil, de sensibilisation et de formation, la plupart des CRA peuvent établir un diagnostic sur place.
Nécessité d'un diagnostic précoce
Selon Marie-Pierre Rixain, cette croissance s'explique notamment par le fait qu'un diagnostic est « la reconnaissance officielle d'un trouble autistique et permet aux individus d'obtenir des droits sociaux », tels que la RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). Plus il est précoce, mieux c'est. Or, ce jour-là, dans la salle, de nombreuses femmes assurent l'avoir reçu après 40, voire 50 ans. « Un accompagnement les aurait rendues moins vulnérables dans leur scolarité en leur donnant les moyens de se défendre dans la cour de récréation ou en facilitant les apprentissages grâce à des pédagogies adaptées à leur fonctionnement intellectuel. Un accompagnement perfectible, certes, mais en mesure d'épargner certaines souffrances », poursuit-elle.
Mobilisation du gouvernement
Pour tenter de changer la donne, Brigitte Bourguignon, présidente de la commission des affaires sociales, a formulé une proposition de loi visant à renforcer l'accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l'autonomie. « Elle sera, dans les prochains mois, au cœur des débats de l'Assemblée nationale », promet Gaël Le Bohec, co-signataire. En parallèle, le gouvernement a annoncé vouloir réduire les retards de diagnostic, « notamment pour les femmes », c'est l'une des ambitions du 4e plan autisme (article en lien ci-dessous). 344 millions d'euros, sur cinq ans, seront alloués à ce dispositif qui cible plusieurs priorités, comme la scolarisation en maternelle de tous les enfants autistes, la recherche et l'accompagnement pour aider les adultes concernés, notamment à travailler et à se loger.