Quitter les quartiers les plus riches pour s'installer dans les plus défavorisés : ce phénomène, le « social drift », toucherait davantage les personnes souffrant de troubles psychiques. C'est en tout cas l'hypothèse de l'équipe Inserm U955, dite de « psychiatrie translationnelle », membre de la fondation de recherche FondaMental, sur la base de deux études publiées en mai 2016. Ces travaux complémentaires ont été menés dans plusieurs villes de Val-de-Marne. Inédits en France, ils recensent, sur le même territoire et de manière concomitante, le nombre de cas de psychose existants, ainsi que le nombre de nouveaux patients apparus sur une période de 4 ans.
Les jeunes adultes en proie au handicap psychique
Andrei Szoke est psychiatre au CHU Henri-Mondor de Créteil. Avec une dizaine de collègues, il a mené ces travaux de recherche en s'appuyant, entre autres, sur des données de l'INSEE : « Nous avons aussi contacté tous les médecins généralistes et psychiatres exerçant dans ces villes, explique-t-il. Pour nous aider à effectuer un recensement, ils ont complété des fiches de renseignements rendues anonymes concernant les patients souffrant de troubles psychotiques ». Quelles sont ces pathologies ? « Les personnes atteintes présentent des symptômes psychotiques, les plus communs étant les idées délirantes et les hallucinations », précise le spécialiste. Liés de plus ou moins près au spectre de la schizophrénie, ces troubles font partie des pathologies psychiatriques les plus sévères et apparaissent surtout chez les jeunes adultes (à hauteur de 2% d'entre eux). Ils nécessitent souvent des traitements à vie. Les cas présents de troubles bipolaires à manifestation psychotique ont également été recensés mais restent difficiles à estimer avec précision.
Quels sont les facteurs de risque ?
Pour comprendre ce qui augmente les risques d'apparition de ces symptômes, il faut se pencher sur les études menées hors hexagone, celles menées en France étant très limitées. Selon des travaux effectués notamment au Royaume-Uni et au nord de l'Europe, l'éventail de ces facteurs est assez large : migration, vie urbaine, traumatismes émotionnels ou physiques survenus durant l'enfance peuvent jouer un rôle dans l'apparition de ces maladies psychiques : « Le cannabis est aussi régulièrement cité parmi les facteurs environnementaux de risque pour la psychose », ajoute Dr Szoke.
Vers plus de soins en zone défavorisée
Après 4 ans d'investigation, l'équipe conclut que le nombre de nouveaux cas de troubles psychotiques n'est pas lié au niveau socio-économique d'une population. En revanche, elle observe que les personnes souffrant d'hallucinations ou d'idées délirantes sont plus souvent présentes dans des zones urbaines défavorisées. « Notre étude n'a pas permis d'identifier des facteurs de risque qui pourraient faire l'objet de mesures de prévention mais nous avons observé au niveau populationnel une relation entre le niveau économique faible et un nombre plus élevé de troubles psychotiques », affirme le psychiatre. Plutôt novateurs, ces travaux de recherche émettent l'hypothèse que les personnes en situation de handicap psychique seraient plus nombreuses à participer à ce phénomène de déclassement social qu'on appelle le « social drift ». Pour ces raisons, ses auteurs préconisent davantage de solutions de traitement dans les quartiers défavorisés, tels que des centres de consultations médico-psychologiques. De quoi alerter les autorités publiques pour mieux orienter les ressources de santé ?
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