Handicap.fr : Comment votre sympathique fratrie est-elle devenue en trois ans une référence en matière de voyage adapté en Europe ?
Julien : Rudy, qui a aujourd'hui 25 ans, est atteint de myopathie. Nous avons toujours aimé voyager ensemble mais, depuis qu'il est en fauteuil roulant (2009), les choses se sont un peu compliquées. Nous n'avons pas renoncé à nos visites pour autant et avons ouvert, fin 2012, un site internet afin de partager nos expériences avec les internautes handicapés, handilol.com.
Handicap.fr : Qu'est-ce qui a changé pour vous avec le handicap de Rudy ?
J : Déjà, le prix des hôtels. Avant, nous pouvions nous contenter d'un bouiboui mais, désormais, pour trouver une chambre accessible, nous sommes obligés de monter en gamme, et notamment en passant par des grandes chaînes hôtelières qui proposent des prestations en principe standardisées. Il faut compter au minimum 100 euros par nuit dans les capitales européennes alors qu'avant on se débrouillait avec 50, y compris à Paris. Pour nous, le budget a doublé.
H.fr : Côté pratique, trouver le bon hôtel suffisamment accessible n'est pas non plus de tout repos !
Julien : Nous sommes rentrés il y a quelques semaines de notre séjour à Bruxelles et à Paris. Nous avons fait trois hôtels et il y avait encore de quoi dire, c'est vraiment abusé. Payer 90 € la nuit à Bruxelles et 120 € la nuit pour un appart hôtel à Paris alors que ce n'est pas réellement adapté, ça commence à bien faire. Je n'ai pas pu laver mon frère dans aucune des deux salles de bain, en pleine canicule. A Bruxelles, le siège de douche pliable était si minuscule qu'on pouvait à peine y poser une fesse. Et, à Paris, il n'y avait pas assez de place entre le WC et le siège de douche pour placer le fauteuil et faire le transfert. Sans compter les autres aberrations : aucune prise murale en hauteur, porte-manteau très haut, micro-ondes en haut du meuble de cuisine, sticker sur le miroir de la salle de bain empêchant de se voir, lit trop bas... Seul, mon frère ne pourrait absolument pas se débrouiller.
H.fr : Oui mais accessible ne veut pas forcément dire utilisable en totale autonomie...
Julien : Oui en effet, il y a peut-être une nuance qui nous échappe. Que prévoit la loi à ce sujet ?
H.fr : Avez-vous un autre exemple ?
Julien : Pleins... Une marche dans la baignoire d'un hôtel de Lisbonne. Et puis, à Bruxelles, nous avons aussi visité une auberge de jeunesse avec chambre PMR : salle de bain correcte mais pas de siège de douche. L'employé nous a dit qu'on pouvait prendre la chaise de bureau en bois. N'importe quoi !
H.fr : Mais lorsque vous signalez ces problèmes à la réception, que vous répond-on ?
Julien : A Bruxelles, nous avons demandé à voir le gérant de l'AJ qui nous a promis d'acheter un siège. Nous avons bien discuté et il était très preneur de nos conseils. En général, nous avons affaire à des employés qui nous remercient parfois de signaler les problèmes car ce sont des « détails » dont ils ne peuvent pas se rendre compte seuls n'étant pas concernés. Le plus souvent, ils ne sont pas au courant, paraissent dépassés, sont désolés (mais est-ce toujours sincère ?). Ils écoutent mais feront-ils remonter l'information ?
H.fr : Vous allez donc souvent plus loin et vous fendez d'un courrier...
Julien : Oui, je compte par exemple, en envoyer un à l'appart-hôtel de Paris, au moins nous aurons une réponse noir sur blanc que nous pourrons poster sur notre site. Je crois qu'il est important de faire ce petit rappel à la loi mais aussi de partager nos préconisations avec les professionnels car les normes ne vont malheureusement pas toujours dans le sens des usages.
H.fr : La France est-elle mauvaise élève dans ce domaine ?
Julien : Pas plus qu'ailleurs. Il faut arrêter de dire que tout est pire en France. Dans les autres capitales européennes, c'est exactement pareil. Ce qui est compliqué, c'est que les normes d'accessibilité ne sont pas les mêmes d'un pays à un autre.
H.fr : Quels conseils donneriez-vous à un voyageur handicapé qui souhaite réserver un hébergement ?
Julien : Nous faisons une première sélection sur un site de réservations en ligne bien connu, en cochant le critère d'accessibilité. Je recommande d'ailleurs un autre site, hotels.com, qui propose une recherche par critère de handicap plus affinée. Puis nous passons des heures à éplucher les photos. Nous finissons par connaître les hôtels par cœur avant même de nous être déplacés.
H.fr : Mais ça doit vous prendre un temps fou ?
Julien : Ah ça, oui. La recherche d'hébergements, c'est le gros morceau qui, parfois, nous oblige même à renoncer à certaines destinations. Pas le droit à l'imprévu lorsqu'on est handicapé !
H.fr : Ce décorticage en ligne suffit-il à vous apporter toutes les garanties ?
Julien : Oh non ! Si l'on se fie seulement au descriptif et aux photos, on est sûr d'aller droit dans le mur. Il faut donc ensuite se rapprocher de l'hôtel pour confirmer point par point ce qui est annoncé. Nous avons en réserve une lettre type où tous les besoins de Rudy sont mentionnés.
H.fr : Cette liste est-elle vraiment précise ?
Julien : Oui, très détaillée. Nous demandons la largeur des portes, la dimension de l'ascenseur, la présence de marches ou même de ressauts dans l'hôtel et exigeons systématiquement des photos de la salle de bain et des toilettes.
H.fr : Les hôteliers se prêtent-ils facilement à cette démarche ?
Julien : Les hôtels oui mais, avec les particuliers, en chambres d'hôtes ou B&B, c'est déjà plus délicat. Pour être très franc, on voit que ça les ennuie.
H.fr : Et, en l'absence de réponse détaillée, vous n'êtes pas à l'abri d'une sévère déconvenue...
Julien : On a en effet un très mauvais souvenir d'Amsterdam. Nous avons logé dans une chambre d'hôtes réputée accessible mais le lavabo barrait l'accès aux toilettes. Impossible de s'en rendre compte sur les photos. Nous en avons été quittes pour écumer les toilettes des musées de la ville. Nous étions furibonds mais, malgré nos réclamations, cette chambre est toujours mentionnée comme accessible sur le site de réservation en ligne.
H.fr : Le mot de la fin du globe-trotteur ?
Julien : C'est fou le nombre de choses mal faites dans les chambres soi-disant adaptées PMR... Sérieusement, ça m'exaspère, il y a de quoi écrire plus qu'un article, carrément un livre ! Et pas seulement pour dénoncer ou critiquer ; pas trop méchant, il pourrait aussi être lu par les professionnels concernés afin de leur proposer des pistes d'amélioration et de compréhension ; ils verraient que nous sommes confrontés à des situations parfois rocambolesques.