Par Vanessa Carronnier
"Les courses en tant que malvoyante, c'est pas si compliqué. Seul petit bémol, je vois pas les prix." Sur ses comptes TikTok et Instagram, qui réunissent près de 250 000 abonnés, Lilia Benchabane (à droite sur la photo ci-contre), 25 ans, évoque avec mordant les défis de sa vie de tous les jours liés à son handicap. Parfois, elle y dénonce des remarques ou situations "inacceptables", telles que des discriminations lors des entretiens d'embauche. "L'objectif, c'est d'abord de faire rire mais c'est bien si on peut aussi faire passer un message", dit à l'AFP l'humoriste lilloise, qui présentera du 17 au 26 juillet au festival off d'Avignon son premier spectacle, "Attention handicapée méchante".
Dédramatiser le handicap grâce à l'humour
Quentin Ratieuville, 19 ans, humoriste atteint de deux maladies orphelines, est également à l'affiche du festival off d'Avignon, avec son spectacle "Toujours debout". Il partage lui aussi son quotidien sur les réseaux sociaux, avec ses quelques 500 000 abonnés, dans des vidéos au ton léger. Parler du handicap avec humour "peut changer le regard des gens", estime Emmanuel Hochstrasser, chef de projet APF France handicap Grand Est. L'association organise chaque année dans la région le festival "Humour et handicap" afin de "sensibiliser autrement" des élèves en établissement scolaire et le grand public. "Difficultés", "douleurs", "tristesse"... Les valeurs spontanément associées au handicap restent globalement négatives, selon une étude Harris Interactive menée en avril 2021. Plus de 60 % des personnes interrogées considéraient le handicap comme un "obstacle" à une "vie épanouie".
Entre "aventures" et "galères"
Outre ces humoristes, d'autres jeunes handicapés ont pris la parole sur les réseaux sociaux ces dernières années, dans des publications au ton décalé ou pédagogique (Lil Skuna, Alexandre et son chien d'assistance Murphy, Marina Morello...). Objectif : sensibiliser et combattre les clichés. Arthur Baucheron (à gauche sur la photo ci-contre), 19 ans, s'est lancé lors du confinement de mars 2020. Le jeune homme, atteint d'une maladie neuromusculaire rare, publie d'abord des vidéos de reprises de chansons pour passer le temps. Les internautes, qui constatent qu'il est en fauteuil roulant, l'interrogent alors sur son quotidien. "Tu peux te baigner ?", "Te lever ?", etc... A chaque question des internautes, le jeune Bordelais répond par un "Yeh !" ou "Nope !" sur fond de rap, dans l'une de ses vidéos. Arthur Baucheron partage à présent ses "aventures" et ses "galères" auprès de quelque 900 000 abonnés. "J'essaie de dédramatiser mon handicap et de montrer qu'une personne en situation de handicap peut avoir une vie active, sortir avec ses amis, voyager", décrit le jeune homme, qui vient de publier Les roues sur Terre, la tête dans les étoiles (éditions First).
Des programmes qui brisent les tabous
Arthur Baucheron s'est notamment exprimé dans le podcast "Influence-moi" by Handicap.fr, qui met en lumière le parcours de douze influenceurs en situation de handicap (ou pas), afin de briser les tabous (article en lien ci-dessous). Un témoignage à retrouver dès le 12 juillet sur les principales plateformes d'écoute. D'autres personnalités telles que Philippe Croizon, Roro le costaud, ElsaMakeUp, Théo Curin ou encore Tibo Inshape répandent leurs ondes positives et leur messages inspirants, avec humour et bienveillance, via ce podcast mais aussi la web-série "J'ai 1 truc à te dire", également signée Handicap.fr (article en lien ci-dessous).
"Un grand pas"
L'humour permet de "sensibiliser sans en avoir l'air", souligne l'anthropologue Charles Gardou. Cette prise de parole sur les réseaux sociaux représente un "grand pas", selon lui. Leur discours, empreint des codes de leur génération, "provoque naturellement plus d'adhésion" chez les jeunes de leur âge, dit le professeur et spécialiste du handicap, auteur de La fragilité de source. Ce qu'elle dit des affaires humaines (éd. Erès, 2022).Ton décalé, extraits musicaux, parodies... On retrouve dans les vidéos les ingrédients qui séduisent les plus jeunes, très présents sur TikTok.
Représentation marginale du handicap à la TV
Les réseaux sociaux ont changé la donne en permettant à des personnes handicapées "de s'exprimer et d'être visibles" auprès d'un certain public, à l'heure où elles le sont encore trop peu, constate Arnaud de Broca, président du collectif Handicaps, qui regroupe 52 associations. La représentation du handicap reste par exemple très marginale à la télévision, selon le Conseil supérieur de l'audiovisuel, désormais nommé "Arcom" (Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique). Seuls 0,6 % des personnes apparaissant en 2020 à l'écran sont "perçues comme étant en situation de handicap", un niveau stable depuis plusieurs années, indique-t-il dans un bilan publié en 2021 (article en lien ci-dessous). On estime pourtant que 12 millions de personnes vivent avec un handicap -visible ou invisible en France, soit environ 20 % de la population.