La fronde s'organise chez les jeunes sourds et aveugles, la grève est déclarée. Les parents d'élèves, usagers et professionnels des 5 Instituts nationaux des jeunes sourds (INJS) et de l'Institut national des jeunes aveugles (INJA) regrettent une « absence totale d'écoute et de dialogue sur l'avenir des établissements spécialisés dans le cadre de la construction de l'Ecole inclusive », malgré la rencontre le 14 février 2019 avec Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap. Face à ce constat, une intersyndicale et l'association de parents et amis des Instituts nationaux lancent donc un appel à la grève le 4 avril 2019 et à un rassemblement devant le ministère de la Santé à 14h30 pour se diriger vers celui de l'Education nationale.
Un rapport qui fait grincer
Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales de mai 2018 reconnait « une vraie utilité » aux Instituts nationaux « à préserver », tout en recommandant « de développer les pratiques d'inclusion dans des réseaux d'écoles et d'établissements d'enseignement partenaires ». Mais ces instituts, qui prennent en charge plus de mille élèves représentant 9,2% des enfants sourds et 3,6% des jeunes aveugles, contestent la « réduction de leur offre scolaire » interne au profit de l'inclusion dans le milieu ordinaire. Selon leur communiqué, « pour beaucoup d'entre eux, suivre une scolarité en collège ou lycée ordinaire n'a rien d'évident et nécessite une préparation, des adaptations et un accompagnement individualisé que permettent les instituts spécialisés ».
Le libre choix
Les parents réclament donc d'avoir le « libre choix », argument auquel Sophie Cluzel serait, selon eux, restée « imperméable ». « Nous ne sommes pas opposés à l'école inclusive », explique Hélène Sester, secrétaire générale Unsa Education et professeure de mathématiques dans un institut pour jeunes sourds. « Nous contribuons même à l'inclusion des élèves dans des classes ordinaires en leur offrant un soutien ». Mais « le passage du collectif à l'individuel n'est pas facile, les élèves sont dispersés dans les classes et il nous est plus difficile de les suivre », poursuit-elle. Elle affirme, par ailleurs, que « certains ne peuvent pas suivre un enseignement en milieu ordinaire et il faut maintenir la possibilité de scolarisation en institut ». Enfin, les instituts craignent que, à terme, les mesures prises « empêchent la possibilité d'allers-retours entre le milieu ordinaire et spécialisé ».
Une baisse de budget
Or ces établissements assurent « participer actuellement à la construction d'une école réellement inclusive, dans le cadre de projets de scolarisation qui allient les différents dispositifs (au sein des INJ et de l'EN), en s'adaptant aux besoins spécifiques (tant pédagogiques, qu'éducatifs, que du point de point de vue de l'acquisition d'une autonomie au sens large) de chaque enfant. » Selon les syndicats, l'évolution vers l'école inclusive s'est traduite par des baisses de budget de l'ordre de 15% en 2018 pour les Instituts nationaux et un transfert d'élèves vers l'enseignement ordinaire. Ils jugent que les « modifications et la suppression de certains dispositifs se font de manière précipitée et sont réalisés sans concertation nationale et sans préparation de l'Éducation nationale ». Une situation qualifiée de « désastreuse ».
Réponse du cabinet de Sophie Cluzel
« Nous reconnaissons les compétences et la qualité d'investissement de ces instituts », répond le cabinet de la ministre (interveiw complet en lien ci-dessous), qui se dit conscient que des parents leur sont « très reconnaissants car certains enfants peuvent être réellement en souffrance au sein de l'école ordinaire ». En même temps, le secrétariat d'Etat chargé des Personnes handicapées juge que « la demande sociale évolue ainsi que le besoin des élèves » et que cette référence « historique », doit également s'inscrire très largement dans le cadre de l'école inclusive, engagée par Sophie Cluzel et Jean-Michel Blanquer (ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse), c'est à dire de permettre la scolarisation en milieu ordinaire. « Il ne s'agit pas de les balayer d'un revers de la main. Nous continuerons à avoir besoin de ces Instituts, pas question de les fermer, ni de se priver des professionnels, ni de remettre en cause leur statut national mais, pour autant, ces derniers doivent devenir un label de qualité. Le rapport de l'Igas nous dit, qu'aujourd'hui, les conditions ne sont pas complètement réunies. Cela implique par exemple de coopérer sur les territoires des instituts, avec les autres professionnels, encore plus intensément ». Un terrain d'entente serait-il trouvé puisque, dans ce contexte tendu, l'intersyndicale réclame, elle aussi, « la planification d'un calendrier de réunions de travail avec le cabinet de Sophie Cluzel » ?