* Josef est auteur de plusieurs ouvrages, « Je suis à l'Est », « Éloge du voyage à l'usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez », et a participé à l'adaptation de « Comprendre l'autisme pour les Nuls ».
Handicap.fr : On vous définit comme une personne avec autisme, qu'en pensez-vous ?
Josef Schovanec : Disons que je suis un peu comme le saltimbanque de l'autisme. Mais pas partout. Dans certains pays lointains, où j'ai l'habitude de voyager, on ne vous juge pas sur vos « bizarretés ». Ailleurs, je ne suis plus un autiste mais un « honorable visiteur ». Il y a ce décalage culturel qui rend le reste invisible. Au Yémen, on ne pense pas que je suis autiste, on pense que je suis Français. J'irai même plus loin, les traits autistiques sont parfois considérés comme une qualité ; au Japon, on ne regarde pas droit dans les yeux, on parle à voix basse et on passe un temps fou sur les ordis. En France, avec le même syndrome vous êtes geek ou autiste !
H.fr : La « situation de handicap », ça évoque quoi pour vous ?
JS : Troubles, déficience, handicap, ce sont des termes qui font peur ; moi j'appelle cela une « particularité ». Mais est-ce qu'en Occident, on a encore l'aptitude à envisager l'individu en dehors de catégories ? Le terme handicap est très récent ; avant, on ne mettait pas les gens dans le même sac. Nos rois étaient qualifiés de chauve, de fou, de gros… Aujourd'hui, il leur faudrait maigrir ou se faire poser des implants pour rentrer dans la norme ! A certains égards, la société s'est vraiment durcie. Si on prend l'exemple de l'actuel président algérien, qui fait depuis deux ou trois ans l'objet de nombreuses moqueries ; certains n'hésitent pas à le qualifier de « momie » mais d'autres vous diront qu'il s'agit de donner sa place à une personne vieillissante. On a perdu en qualité d'hospitalité de l'autre.
H.fr : Il y a donc une aptitude à recevoir la différence que nous devons recréer ?
JS : Oui, certainement. Je vais vous donner un exemple ; j'ai la nostalgie de certains métiers qui n'existent plus, comme buronnier ou berger. Ce sont des métiers d'autistes qui prouvent que la modernisation de nos sociétés est un facteur d'exclusion pour les personnes différentes.
H.fr : Que pensez-vous de la façon dont sont prises en charge les personnes handicapées en France ?
JS : Le système me semble vicié dès le départ car on raisonne en termes de places ; or les personnes handicapées ne sont pas des lapins à caser dans des clapiers. Si l'on y réfléchit bien, ce principe est voué à l'échec. La place d'une personne handicapée n'est pas dans une case numérotée mais dans la société. En Suède, par exemple, la loi a interdit de créer des établissements spéciaux, à cause de nombreux abus et d'histoires horribles. Et leur nouveau dispositif s'avère moins cher que l'ancien et nettement plus humain.
H.fr : Une grosse association de personnes handicapées a proposé, début septembre (article en lien ci-dessous), de venir en aide aux migrants handicapés qui auraient besoin de soins et de matériel, suscitant parfois des commentaires indignés… Que vous évoque cette tragédie humaine ?
JS : Il y a plus de cent ans, les passeports n'existaient pas et l'on pouvait aller à sa guise. Comment en-est-on arrivé à un tel système, avec la croyance qu'on a réalisé la mondialisation alors que toute la planète est compartimentée ? Et qui peut être assez stupide pour penser que, face à la détresse, les frontières retiennent qui que ce soit ? Mais, pour répondre à votre question, j'attends de voir combien de migrants handicapés vont occuper le lit de « Français ». Et puis, quand bien même, la seule question qu'il faut poser aux hommes politiques, c'est « combien de lits vous allez fermer ? » et pas ouvrir ! On pourrait presque remercier les migrants d'occuper nos lits car l'objectif d'une vie humaine n'est pas de décrocher une place dans un établissement. Il y a tant de choses à faire en milieu ordinaire… Si l'on y réfléchit, ce système va droit à l'échec, et ce ne sera pas à cause des migrants. On peut vraiment imaginer une autre solution, un autre monde et ce n'est pas une douce rêverie.
H.fr : Ça marche ailleurs, par exemple dans les pays du Nord ?
JS : Oui, j'ai été frappé par le nombre de personnes handicapées dans les rues de Copenhague, au Danemark. Pourquoi ? Parce qu'on ne les cache pas, on ne les enferme pas et elles participent pleinement à la vie sociale. C'est facile de mettre à l'écart une grande partie de la population ; dans certains pays, on ne voit pas de femmes dans les rues mais ce n'est pas pour autant qu'elles n'existent pas.
H.fr : Vous avez participé à l'élaboration d'un projet européen, eLeSI (en lien ci-dessous), présenté le 18 septembre 2015 à l'Unesco, à Paris. De quoi s'agit-il ?
JS : Lorsqu'ils m'ont sollicité, j'avais la chance de ne pas avoir de poste stable, comme quoi être marginal peut aussi être un atout. Alors je me suis engagé dans cette belle aventure, une formation en ligne, très complète et gratuite, pour toute personne, professionnel ou parent, qui souhaite se former sur l'autisme. C'est une approche multiculturelle, avec une vraie perspective humaine. Un projet comme eLeSI peut aider à surmonter de nombreuses barrières. On devrait même créer un outil analogue pour prendre en charge les enfants dits « normaux » ; je plains les parents qui ont des ados.
H.fr : Quelle est votre actualité en ce moment ?
JS : J'anime une chronique sur Europe 1 sur le thème du voyage. Ce qui me vient à l'esprit, cinq minutes par semaine, tous les dimanches à 11 heures. Quelle ironie ! Avec mon élocution un peu particulière, on pouvait imaginer tous les métiers pour moi mais sûrement pas la radio…