Une fontaine en forme d'étoile comme sur le drapeau américain, du granit et du verre pour symboliser la "force et la vulnérabilité", le monument honore, près du Congrès à Washington, ces soldats qui ont perdu en se battant une main, une jambe ou la "tranquillité d'esprit", a rappelé le président Barack Obama en l'inaugurant le 5 octobre 2014. "Les gens pensent qu'il y a les soldats qui sont tués et les soldats qui survivent, mais il y a en fait beaucoup de soldats qui sont blessés et gardent ces blessures toute leur vie", explique à l'AFP Christopher Neiweem, revenu d'Afghanistan avec des problèmes pulmonaires, et chargé des questions juridiques à l'association des anciens combattants d'Irak et d'Afghanistan (IAVA).
Les souffrances invisibles
Le mémorial "célèbre le courage et le sacrifice" des anciens combattants blessés (trois millions sont encore en vie aux Etats-Unis) qui souffrent "de handicaps physiques mais aussi invisibles comme les troubles du stress post-traumatique" (Post-Traumatic Stress Disorder, PTSD), souligne la philanthrope Lois Pope, à l'initiative du projet avec l'ex-ministre des Anciens combattants, Jesse Brown, et l'ancien président de l'association des anciens combattants handicapés, Art Wilson. Mais le monument a mis beaucoup de temps, 16 ans, à voir le jour, en raison notamment de la longueur du processus pour être reconnu mémorial "national", selon M. Neiweem. Ce retard est aussi peut-être lié au fait que les blessés "sont un peu oubliés. C'est beaucoup plus facile de comprendre l'idée d'un soldat qui est
allé à la guerre et qui est mort. Alors que penser à un soldat revenu sans jambe ou sans bras, on est un peu moins à l'aise parce que chaque fois que vous voyez cette personne, elle vous rappelle le coût de la guerre", suggère Yochi Dreazen, auteur du livre "The invisible front : love and loss in an era of endlesswar", sorti le 7 octobre.
Blessures psychiques : un tabou !
En outre, les blessures psychiques sont longtemps restées un tabou. En 1943, le général Patton avait giflé un soldat qui ne présentait pas de blessure physique mais avait dû être hospitalisé pour "fatigue au combat" (battle fatigue, ou stress du combattant). Les symptômes de la dépression, de l'angoisse ou des accès de colère, n'ont été reconnus par les psychiatres américains sous le nom de PTSD qu'en 1980. Plus de 52 000 soldats sont revenus blessés physiquement d'Irak ou d'Afghanistan depuis les attentats du 11 septembre 2001 (pour quelque 6 800 morts), auxquels il faut ajouter des centaines de milliers, voire davantage, de soldats souffrant de ces blessures "invisibles". Selon le ministère des Anciens combattants, entre 11 et 20% (contre 7 à 8% dans la population normale) d'anciens soldats d'Irak ou d'Afghanistan souffrent de PTSD.
Quelle place pour les blessures émotionnelles ?
M. Dreazen "doute" cependant que ce mémorial soit vraiment dédié aux "blessures émotionnelles", qui seront pourtant "là pour des décennies car elles peuvent apparaître seulement 5, 10 ou 15 ans après la fin de la mission". Près de 300 000 anciens combattants de la guerre du Vietnam recevaient encore en 2011 des allocations au titre d'un PTSD. Le monument honorera en outre des blessés de plus en plus nombreux, avec l'Afghanistan devenu la guerre la plus longue (13 ans) à laquelle les Etats-Unis aient participé. Et le nombre d'invalides surpassera d'autant plus celui des morts que la tendance actuelle dans les conflits est de blesser plutôt que de tuer l'ennemi pour l'affaiblir.
Masquer les vrais problèmes ?
Un risque est que ce mémorial masque les problèmes de prise en charge des blessés de guerre, selon M. Dreazen. Après la guerre civile (1861-65) et la Première Guerre mondiale, ces soldats "ont dû s'organiser et manifester pour obtenir les allocations auxquelles ils avaient droit", a rappelé lui-même M. Obama. Et l'an dernier, les hôpitaux militaires où ils sont soignés ont été secoués par un scandale de listes d'attentes liées à plusieurs décès. "Ce n'est pas dit intentionnellement mais c'est beaucoup plus facile d'aller à un mémorial et de se sentir bien avec soi-même (...) que de penser à ces questions difficiles", estime M. Dreazen.