Il y a foule sur la place du Trocadéro en ce matin ensoleillé du 10 décembre 2016. Des touristes pour la plupart, intrigués par une gerbe aux couleurs de la France. Elle a été déposée par François Hollande quelques minutes plus tôt et vient fleurir une stèle sur laquelle est inscrite : « Ici, le 10 décembre 2016, la Nation a rendu hommage aux 300 000 victimes civiles de la seconde guerre mondiale en France. 45 000 d'entre elles, fragilisées par la maladie mentale ou le handicap et gravement négligées, sont mortes de dénutrition dans les établissements qui les accueillaient. Leur mémoire nous appelle à construire une société toujours plus respectueuse des droits humains, qui veille fraternellement sur chacun des siens. François Hollande, Président de la République. »
Un long combat
Ce geste, qui trouve un écho particulier à cette date du 10 décembre, Journée internationale des droits de l'Homme, a été voulu par le Président de la République (article en lien ci-dessous), sensible à la mobilisation collective d'ampleur qui s'est fait entendre pour que soit honorée la mémoire de ces victimes par l'inauguration d'une stèle commémorative sur l'une des terrasses du Parvis du Trocadéro. On doit cette démarche de longue haleine au professeur Charles Gardou, anthropologue, et à Maryvonne Lyazid, présidente de l'association Mouvement pour une société inclusive. En octobre 2013, ils lancent un comité de soutien pour la création d'un mémorial en hommage aux personnes handicapées mortes dans les hôpitaux psychiatriques français entre 1941 et 1945. En 15 mois, une pétition mise en ligne recueille près de 81 000 signataires.
Les oubliés de l'Histoire
En parallèle de cet appel, une mission est confiée à Jean-Pierre Azema, historien et président du comité scientifique du 70ème anniversaire de la Libération, afin de dresser un bilan des connaissances sur ce drame. « Cette démarche vise à redonner toute leur place à ces personnes vulnérables, grandes oubliées de l'Histoire, qui ont été frappées de plein fouet par la cruauté de la guerre, déclare Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat en charge des personnes handicapées, présente aux côtés du chef de l'Etat. Mais au-delà du symbole, c'est aussi une manière pour la République de rappeler, concrètement, que nous travaillons tous les jours pour refuser que les personnes handicapées ou malades soient mises au ban de la société ».
4 témoignages émouvants
En cette matinée d'hommage, quatre textes sont lus qui rappellent le sort réservé à ces laissés-pour-compte, notamment par un ouvrier en charge des espaces verts dans un Esat de Falaise. La petite nièce d'une internée décrit l'agonie de son aïeule, morte de faim dans un hôpital psychiatrique à l'âge de 36 ans. Selon elle, ce geste « permet aujourd'hui aux familles de se libérer d'un très lourd fardeau. » Quant à Charles Gardou, il se dit ému d'être arrivé au bout de cette bataille qui, sept décennies plus tard, sort ces victimes silencieuses et leur famille de l'oubli. « Il faut croire, malgré les difficultés, malgré les vents et marées, qu'il y a des choses justes et belles qui peuvent se réaliser dans notre société. » Le souvenir des invisibles est désormais gravé dans le marbre sur l'esplanade des Droits de l'Homme, face à la Tour Eiffel, qui, pour cette journée symbolique, s'est drapée de nuages. Elle semble dire que, pour certains, le ciel n'est pas toujours bleu…