Ninja Warrior : Salim, aveugle, retour sur un défi inédit

Le 4 juillet 2025, Salim Ejnaïni, cavalier et présentateur TV, est entré dans l'histoire de Ninja Warrior. Âgé de 33 ans, il est le premier candidat aveugle à se frotter au parcours d'obstacles diffusé sur TF1. Interview de ce challenger invétéré.

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C'est inédit dans l'histoire de Ninja Warrior : le parcours des héros. Le 4 juillet 2025, TF1 a frappé fort pour le lancement de la saison 9 de son émission sportive phare, avec la participation de Salim Ejnaïni, conférencier aveugle de 33 ans et présentateur de l'émission À vos marques, sur la chaîne du Comité national olympique et sportif français, Sport en France (Salim Ejnaini, aveugle, aux manettes d'une émission sportive). Le cavalier professionnel a troqué les sauts d'obstacles pour un parcours... d'obstacles. Il revient sur cette aventure « mémorable ».

Handicap.fr : Vous êtes la première personne non-voyante à participer à Ninja Warrior. Que représente ce défi pour vous et comment l'idée vous est-elle venue ?
Salim Ejnaïni :
Au-delà du défi sportif, ce qui m'a animé c'est la possibilité de faire quelque chose qui n'a jamais été fait, de convaincre les équipes de TF1 et d'aller le plus loin possible dans une épreuve qui est réputée « intraitable », voire infaisable. Ninja Warrior est un programme qui représente beaucoup pour moi et dont je suis fan depuis très longtemps. Les Spartan races (ndlr : courses à obstacles) auxquelles j'ai déjà participé sont de très belles aventures mais Ninja Warrior, c'est vraiment la consécration ; le fait de pouvoir ouvrir une voie et, je l'espère, susciter des vocations me remplit de joie...

H.fr : Vous nourrissiez ce projet depuis longtemps ?
SE :
C'est peu dire. En 2020, alors qu'on regardait l'émission avec ma compagne, elle m'a lancé : « Tu devrais participer. » Je n'ai pas compris sur le coup... (rires) J'étais, certes, sportif mais pas du tout dans ce domaine puisque j'étais cavalier, et je n'avais pas les capacités ni le physique que j'ai aujourd'hui. Son annonce m'a autant surpris que surmotivé.

H.fr : Que vouliez-vous « prouver », à vous et aux autres ?
SE :
Que participer à une épreuve si redoutable est possible, même sans les yeux. Que la cécité n'est pas un frein ferme et définitif à ses rêves, ses projets ; les freins sont sûrement ailleurs... J'étais là pour performer, pas pour faire de la figuration ou de la démonstration.

H.fr : Vous aimez surprendre, être là où on ne vous attend pas... 
SE :
Oui parce que ce sont des personnes qui étaient là où je ne les attendais pas qui m'ont inspiré sur le plan personnel, professionnel, sportif. Si j'ai pu donner de l'espoir même à une personne devant sa télévision, et lui faire comprendre qu'elle aussi pouvait tenter sa chance sur Ninja Warrior ou toute autre chose, j'ai réussi mon défi.

H.fr : Vous avez franchi deux obstacles avant de tomber dans l'eau à la fin de l'échelle à bras. Une réaction sur votre parcours ?
SE :
Je suis très mitigé. D'une part, déçu d'avoir perdu sur un obstacle qui est supposé être mon point fort ; j'ai beaucoup axé ma préparation sur les échelles et les obstacles de bras. Mais j'ai perdu ma vitesse, je n'aurais pas dû ralentir autant. En revanche, pour beaucoup, si vous exposez le pitch « un aveugle va tenter Ninja Warrior », le premier réflexe est de penser : « Il va sûrement tomber au premier obstacle. » Donc je suis content qu'on soit arrivé jusque-là. Mais je sais qu'on peut faire beaucoup mieux car lors des entraînements c'était le cas.

H.fr : Vous avez préparé ce défi pendant plus de trois ans avec un coach. Quelles ont été les étapes les plus difficiles ou les plus décisives ?
SE :
La première, c'est de se mettre au sport dans un objectif de changement physique, de se discipliner. Au début je m'entraînais deux à trois fois par jour (boxing, cardio, force...) pour obtenir une condition physique complète. Deuxième étape : trouver Manu, le coach qui m'a permis de me dépasser et de faire des mouvements plus complexes. Halte aux tractions, place au muscle-up ! C'est à ce moment-là que le projet « Ninja » est né. Manu aurait pu me tourner le dos et me dire que j'étais un grand malade... Bon, ça, il me l'a dit, mais il m'a accompagné jusqu'au bout. Autre moment décisif : les étapes de sélection (environ quatre ou cinq). J'avais fait tout ce que je pouvais mais la décision finale n'était pas entre mes mains...

H.fr : Aviez-vous testé le parcours en amont ?
SE :
Non, on s'entraîne sur certaines épreuves (et encore, je n'avais jamais testé l'échelle à bras qui se balance, par exemple) mais on ne sait jamais à quoi va ressembler le parcours avant d'y être confronté. Il diffère d'un jour à l'autre. Je ne m'étais jamais entraîné dans un espace aussi vaste, avec des bassins remplis d'eau, c'était assez impressionnant !

H.fr : Aucun obstacle n'a été modifié pour vous. Comment avez-vous compensé l'absence de vision ?
SE :
Plusieurs choses. Tout d'abord, Lionel, le chef arbitre, m'a suivi tout au long du parcours pour me donner des indications, notamment concernant les marches. Quant à Manu, il réalisait le parcours en même temps que moi pour me motiver et m'aiguiller sur mon placement. Nous avons aussi eu la chance de bénéficier de l'appui des balises d'Okeenaa – la société qui sonorise notamment les feux rouges –, qui étaient placées tout le long des obstacles et émettaient des « bips » afin que je puisse me repérer à l'oreille comme habituellement.

H.fr : Avez-vous pu également compter sur d'autres sens, d'autres perceptions, comme l'ouïe, le toucher, l'intuition ?
SE :
Exactement. L'ouïe à distance, le toucher à proximité, l'intuition pour jauger les distances notamment, et j'ajouterais l'équilibre. Dans ce contexte, l'ensemble des sens kinesthésiques sont mobilisés. C'est un véritable flot d'informations qui nous parvient. Charge à moi de bien les interpréter, et cela prend parfois un peu de temps. C'est la raison pour laquelle on me voit tâtonner avant chaque obstacle.

H.fr : Quelle a été votre plus grande peur en débutant ce parcours, et à l'inverse, votre plus grande fierté ?
SE :
Ma plus grande peur était de me rater sur une bêtise, trop tôt. Et ça a un peu été le cas... Et ma plus grande « fierté », c'est d'avoir vu que tous ces gens étaient sincèrement déçus que l'expérience s'arrête-là car ils savaient qu'on pouvait aller plus loin. J'ai convaincu le public et la production puisqu'elle m'a proposé de revenir la saison prochaine, et ça, c'est juste fou !

H.fr : Qu'a représenté pour vous le soutien de votre coach et de l'équipe technique ? Avez-vous senti une réelle volonté d'inclusion de la part de la production ?
SE :
Le mot « inclusion » paraît même galvauder, on était dans une simple participation, et c'est tout ce que je voulais. J'ai été extrêmement touché par la chaleur humaine qui émanait de toute l'équipe, du technicien, au testeur, en passant par l'arbitre, les présentateurs, chargés des candidats, responsables logistiques, journalistes. Tout le monde était extrêmement bienveillant et embarqué dans cette aventure de bout en bout, je n'en espérais pas tant. Lionel m'a dit : « Je veux faire en sorte que tu ne te poses même pas la question de tes yeux et que tu puisses t'exprimer entièrement physiquement, comme n'importe qui. » C'était très spontané, très sincère et ça résume bien l'engagement de toute l'équipe.

Mon seul regret c'est que Manu n'ait pas eu davantage de lumière, c'est une personne formidable qui s'est donnée corps et âmes à ce projet alors qu'il n'avait jamais travaillé avec une personne en situation de handicap – il ne connaissait strictement rien à la cécité - et ne m'a jamais considéré par le prisme du handicap mais plutôt du sport, de la possibilité et de la performance. C'était une aventure « extra » et inattendue.

H.fr : Si Ninja Warrior était une métaphore de votre vie, quel serait l'obstacle qui vous représenterait le plus, et pourquoi ?
SE :
Le cinquième obstacle : le méga mur. C'est l'emblème numéro 1 de Ninja Warrior, qui représente l'excellence et le spectaculaire. On le réussit rarement du premier coup, on est super fier quand on le passe, tous les participants en rêve mais seuls de rares élus s'y frottent, et encore plus rares sont ceux qui le réussissent.

H.fr : Quels sont vos prochains projets ? Serait-ce le début d'une série d'autres défis un peu fous ?
SE :
J'ai plein de projets en tête, notamment via mon activité de créateur de contenus. Mais, avant tout, je meurs d'envie de revenir sur Ninja Warrior pour prendre ma revanche ! J'envisage aussi de participer à des courses OCR (à obstacles) et à un Hyrox (ndlr : une compétition de fitness hybride qui combine endurance et renforcement musculaire, particulièrement en vogue), quand j'arriverai (enfin) à m'inscrire.

H.fr : Enfin, vous êtes un grand amateur de sport. Quels bienfaits vous procure-t-il ?
SE :
Vous avez combien de temps ? (rires) Pour moi, le sport représente un vecteur de lien social puissant, un langage sans parole, un outil de dépassement de soi, une nécessité absolue. Qu'on l'apprécie pour le pratiquer ou simplement le voir, le sport véhicule des valeurs universelles. J'aime le bien-être qu'il procure et les rencontres qu'il provoque. Il permet aussi de prendre soin de soi. Plus on sait accorder une place à la pratique sportive dans sa vie, plus on fait un pas vers ce bien-être et cet équilibre.

© Salim Ejnaïni

Salim et Manu sur l’épreuve des anneaux de Ninja Warrior.
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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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