Par Sébastien Blanc
Quasiment 80 ans après sa publication, le roman Des souris et des hommes de John Steinbeck est le 29 novembre 2016 dans tous les esprits à la Cour suprême des Etats-Unis, qui examinera une peine de mort infligée à un homme déficient mental. Dans son œuvre universellement connue, l'écrivain américain introduisait le personnage de Lennie, colosse à l'esprit d'enfant incapable de jauger la force de ses caresses. Une tare le condamnant finalement à être tué par George, son compagnon d'errance, qui le savait perdu.
Un braquage qui tourne mal
Tout comme Lennie, Bobby Moore est condamné à mort malgré ses graves carences intellectuelles. A l'âge de 13 ans, ce Texan était incapable de lire l'heure, de différencier les jours de la semaine ou de comparer une addition et une soustraction. A 20 ans, en 1980, il a tué un caissier de supermarché dans un braquage voué à l'échec. Quelques mois plus tard, il était condamné à la peine capitale. Moore a aujourd'hui 57 ans et reste menacé de recevoir une injection létale dans l'Etat qui exécute le plus dans le pays. Ses avocats affirment que sa condamnation à mort par la justice du Texas viole la Constitution américaine. Selon eux, son handicap mental aurait automatiquement dû l'exempter du châtiment le plus lourd. Ils espèrent que la Cour suprême à Washington leur donnera raison, dans une décision qui serait un camouflet pour le Texas et offrirait un nouveau cadre d'exemptions pour les autres Etats.
« Attardés mentaux »
Dans un arrêt emblématique de 2002, la plus haute instance judiciaire américaine a déjà jugé que la peine de mort ne devait pas être infligée aux « attardés mentaux » - la haute cour avait utilisé ce vocabulaire aujourd'hui considéré comme péjoratif. Les tribunaux américains ont ensuite pris l'habitude de se référer à une série d'expertises médicales modernes pour estimer si un meurtrier devait ou non bénéficier de cette exemption. Cependant, soutenant qu'il n'existe aucune norme nationale en la matière, le Texas continue de suivre ses propres critères, en se fondant sur un manuel médical datant de 1992. Ainsi, un très bas quotient intellectuel ne suffit pas, selon les critères texans, pour échapper à la peine capitale.
Texas : sa propre définition de la déficience mentale
« Le Texas est certainement un cas à part. C'est la seule juridiction qui a vraiment cherché à imposer sa propre définition de déficience mentale, bien distincte de la définition professionnelle des cliniciens », explique Jordan Steiker, professeur de droit à l'Université du Texas. L'objectif recherché, précise-t-il, « est de restreindre les exemptions » et donc d'exécuter davantage. Pourtant, constate M. Steiker, les déficiences mentales de Bobby Moore « s'inscrivent clairement dans la définition clinique. Il a un bagage scolaire très, très faible, il est sorti de l'école après avoir échoué à différents niveaux, il présente des problèmes patents pour s'adapter ».
Opinion publique défavorable à l'exécution
Même dans les états américains où la peine capitale est en vigueur, les sondages montrent que l'opinion publique est généralement opposée à ce qu'elle s'applique à des personnes très limitées intellectuellement. Dans son long cheminement judiciaire, Bobby Moore a d'ailleurs bénéficié d'une décision favorable d'un juge, qui l'a retiré en 2014 du couloir de la mort où il croupissait depuis 36 ans. Mais ce jugement a été cassé l'année suivante par la cour d'appel pénale du Texas, qui a cité une jurisprudence de 2004. Cette dernière fait expressément référence à Des souris et des hommes. « Il se peut que la majorité des citoyens du Texas s'accordent pour dire que le Lennie de Steinbeck devrait, par manque d'aptitude au raisonnement et de capacité d'adaptation, être exempté » de peine de mort, avait écrit la juge Cathy Cochran. Mais il n'y a aucune raison, avait-elle ajouté, pour que les criminels un peu moins handicapés mentalement échappent à cette sentence.
Une perruque, signe d'intelligence ?
Concernant Bobby Moore, les juges texans ont contesté son handicap mental en relevant qu'il s'était adapté à la vie dans la rue après que son père l'eut expulsé du domicile familial quand il était adolescent. Et le jour du braquage, il s'était coiffé d'une perruque pour dissimuler son identité, ont-ils noté. « En fait, je pense que si Lennie était jugé aujourd'hui au Texas, ce serait tout un combat de lui faire échapper à la peine de mort », estime le professeur Steiker.