Nous sommes le 2 avril (ndlr : journée internationale de l'autisme). Hier, nous faisions des blagues, aujourd'hui nous parlons d'amour, de solidarité et de différences. L'autisme touche des milliers de personnes en France, mais beaucoup ne sont pas encore diagnostiquées. Les délais sont longs, et la France est en retard. Parmi ces milliers de personnes, il y a ma petite sœur, Lili-Rose. Elle a 15 ans, elle est blonde, câline, petite et autiste.
Le pire jour de ma vie
Il y a un peu plus de 14 ans, j'ai vécu la pire journée de ma vie, ma famille aussi. Je me souviens de ma mère qui crie, ma petite sœur fait une crise, elle ne respire plus, ma grande sœur appelle les pompiers. Et moi, en haut de ces escaliers, j'assiste à cette scène d'horreur. Après ce jour- là, rien n'a plus jamais été comme avant. Le petit bébé aux yeux bleus n'a plus jamais été comme avant. Elle ne souriait plus, ne mangeait plus, ne réagissait plus. Et elle n'a pas grandi comme les autres enfants. Elle ne parlait pas, ne jouait pas, mordait et criait, ses yeux bleus fuyaient. Nous étions dans un monde, elle dans un autre. Pourtant, la petite fille de 10 ans que j'étais aurait tellement aimé lui faire visiter son monde, rien qu'une journée. Peut-être aurait-elle voulu y rester ? Sûrement que non.
Le diagnostic tombe
Le diagnostic est arrivé quelques années après sa naissance : autisme sévère. Mes parents ont alors déployé une force phénoménale pour tenter de sortir ma petite sœur de sa bulle, rien qu'un peu. ABA, PECS, Padovan… Elle a dû tout apprendre, notamment les expressions du visage qui sont innées pour nous. Quand nous sommes tristes ou joyeux, nous ne nous demandons pas comment faire pour que notre visage soit triste ou joyeux, ça vient tout seul. Mais, pour elle, non. Elle a dû apprendre à rire, à courir, à regarder dans les yeux, à se faire comprendre sans parler. Et mes parents ont dû apprendre à moins dormir, à être attentifs à chaque instant, à écouter la même musique 50 fois d'affilée, à comprendre une petite fille qui ne parlait pas. Ils ont dû supporter chaque jour les cris, les morsures, les griffures, les cheveux arrachés, en aimant plus fort, jour après jour. Ce combat, c'était celui de mes parents, le combat de toute une vie. Mais, avec trois autres filles à gérer, c'est compliqué.
Alors, avec mes sœurs, nous avons dû apprendre à moins demander, à faire des concessions, à grandir un peu plus vite pour soulager nos parents. Quand ça n'allait pas, je ne le disais pas. Et, sans vraiment le savoir, je suis certaine que c'est pareil pour mes deux autres sœurs. Nous sommes les dommages collatéraux de l'autisme. Mais nous étions entourées de tant d'amour, de l'amour profond qui résiste à toutes les tempêtes. Parce que notre famille avait déjà connu une tempête énorme, une tempête qui a tout emporté sur son passage.
J'ai dessiné la difficulté et surtout l'amour
Pendant longtemps, j'ai évité d'en parler, parce que le handicap fait peur, parce que, moi aussi, j'ai parfois eu peur de cette petite sœur qui mordait, frappait, se balançait d'avant en arrière en tapant des mains mais qui ne parlait pas, jamais. J'ai eu peur qu'elle ne sache pas me reconnaître. J'ai eu peur et j'ai été triste, en colère, je me suis sentie seule. Parce que "espèce d'autiste" est l'insulte la plus utilisée après "espèce de triso" pour désigner quelqu'un qui dit ou fait quelque chose de bête par les plus petits. Et force est de constater que les moins petits utilisent aussi ces mots pour insulter. Puis j'ai compris qu'en parler permettait de sensibiliser, alors j'ai parlé, j'ai écrit et j'ai dessiné la difficulté et surtout l'amour. Pour ne plus être seule. Pour que les gens connaissent l'autisme, sous toutes ses formes. Pour que les enfants et les parents aient accès à un accompagnement adapté. Et, alors, j'ai appris à l'apprivoiser, cette petite sœur qui venait d'une autre planète, très lointaine. J'ai trouvé ce qui pouvait la faire rire, je lui ai chanté des chansons et j'ai tissé ce lien qui nous unit, qui n'a besoin ni de mots ni de regards.
Cette petite fille câline qui ne parle pas
En janvier 2020, Lili a eu 15 ans. Alors que les adolescents de son âge vont au lycée, connaissent leurs premières soirées alcoolisées et leurs premières peines de cœur, Lili est toujours cette petite fille câline aux cheveux bouclés, qui ne parle pas, qui regarde ses dessins animés en boucle et aime la musique. Elle a appris à rire, à demander certaines choses et à prononcer nos prénoms, à faire des blagues en se cachant sous la couette quand on l'appelle. Elle crie moins souvent, par périodes. Elle a toujours des stéréotypies, par périodes aussi. Certaines qui lui abîment le corps, d'autres qui font du bruit et qui sont fatigantes pour mes parents. Son corps ne tolère que très peu d'aliments ; il suffit qu'elle mange une miette de pain pour que son ventre gonfle et la fasse souffrir terriblement. Des intervenants sont là pour épauler mes parents et faire travailler ma petite sœur.
Les bras et le cœur couverts de cicatrices
Mes parents eux, sont toujours à ses côtés, les bras et le coeur couverts de cicatrices, ils l'accompagnent, chaque jour, ils ont appris à la comprendre sans qu'elle n'ait besoin de parler. Ils ne dorment toujours pas beaucoup, une nuit sur deux chacun, sont vigilants à chaque instant. Ils ont appris des dizaines de chansons, qu'ils chantent en boucle, inlassablement, et continuent de chercher des solutions pour que ma sœur s'épanouisse.
Et nous, on l'aime tous tellement, si fort. On a toujours le coeur qui se brise lorsqu'elle souffre, et lorsque nos parents souffrent. On a appris grâce à elle la différence et la tolérance. 15 ans après, l'autisme est toujours très mal diagnostiqué, certaines personnes attendent des années avant de savoir. La France est en retard, alors que l'autisme doit être pris en charge très tôt dans l'enfance. C'est pour ça qu'il faut en parler… Et pas seulement le 2 avril !
Léa, la sœur aînée de Lili, a réalisé une vidéo Bleu, bien loin de nos espoirs utopiques, s'appuyant sur les témoignages de quatre femme, mère ou sœur d'enfants autistes (ci-contre).