« Un handicapé mental a des droits, même s'il n'est pas mignon ou si personne ne l'aime ». Il a suffi de quelques phrases pour que le web s'embrase. A l'origine de la colère de certaines associations de personnes handicapées, ces lignes, et bien d'autres, dans la rubrique « Foire aux questions » du site web de l'association de protection animale PETA. Il est vrai que ce parallèle, répondant en partie à la question « Qu'entendez-vous par droits des animaux ? » semble assez surréaliste. Dans le texte : « Chaque animal devrait avoir des droits indépendamment de l'intérêt que cet animal peut présenter pour les humains, qu'il soit mignon ou pas, que son espèce soit menacée de disparition ou pas, qu'un humain y soit attaché ou pas (de la même façon, un handicapé mental a des droits, même s'il n'est pas mignon ou si personne ne l'aime)...»
Pourquoi ce focus sur les personnes handicapées ?
Et de poursuivre « Un animal est sans doute incapable de comprendre et de respecter nos règles mais cela est vrai aussi d'un enfant ou d'un handicapé mental. Nous n'en concluons cependant pas que les enfants et les handicapés mentaux n'ont pas de droits. » Le plus surprenant, c'est qu'au fil des 20 questions, le parallèle avec les personnes handicapées est récurrent. Pourquoi prendre le parti de se focaliser uniquement sur elles ? L'association a aussitôt reconnu, par la voix de sa porte-parole, Isabelle Goetz, que cette comparaison était « très maladroite et contraire à sa philosophie. Ce n'est évidemment pas du tout le message de PETA qui se bat contre toutes les discriminations. Nous sommes désolés si des personnes ont été offensées, ce n'était nullement notre intention ». Cette formulation était présente sur le site depuis longtemps sans que personne ne s'en émeuve.
Le standard de PETA saturé
C'est une jeune Parisienne en fauteuil roulant qui a, sur son blog « Wheelcome » interpellé PETA en lui demandant si elle n'avait pas « pété un plomb ». Son tweet s'est répandu comme une traînée de poudre parmi les personnes handicapées, provoquant un emballement généralisé. Le standard de l'association a été saturé d'appels toute la journée et les comptes Twitter et Facebook inondés de messages de colère. PETA prenant la mesure de cette « bourde colossale » a aussitôt retiré la plupart des passages incriminés. Afin d'affiner sa position, l'association s'est fendue d'une « explication de texte » pour justifier ces allusions : « Il n'y a pas si longtemps, beaucoup d'humains étaient traités comme des "objets" et on enfermait les personnes handicapées dans des institutions parce qu'elles étaient considérées sans valeur pour la société et "embarrassantes" pour leurs familles ».
Une plainte déposée
Mais ce mea-culpa, qui n'a d'ailleurs aucune valeur d'excuse publique, n'a pas suffi à calmer l'ire de certains. Dès le mercredi 26 août 2015, le Collectif citoyen handicap et l'association UMEH, considérant ces propos comme « insultants et blessants », ont déposé plainte pour « injure publique et atteinte à la dignité des personnes handicapées » auprès du commissariat de Marc-en-Baroeul (Nord). « Nous menons cette action en justice pour que chacun comprenne que ce genre de propos est intolérable, et illégal, confie Jean-Luc Duval, président du CCH. Que penser lorsqu'on lit "Certains animaux sont incontestablement plus intelligents, plus créatifs, plus réceptifs, plus aptes à communiquer que certains êtres humains handicapés ? Faudrait-il alors retirer des droits à ces derniers pour les attribuer aux animaux plus intelligents ?" Comme c'est indélicat, et toujours sur le site ! » Un exemple parmi d'autres comme en témoignent les captures d'écran qui continuent de circuler sur le net. « A presque chaque question, une allusion, déplacée, aux personnes handicapées. A croire que le rédacteur avait vraiment une obsession ! ».
Enrayer ce genre de dérives
Selon Charles Gardou, anthropologue spécialiste du handicap et professeur à l'université de Lyon, « ce parallèle est évidemment inadmissible. Parce qu'on est "moche" on ne peut pas être aimé ? C'est totalement discriminant et on ne peut pas faire plus maladroit. Tout n'est pas permis lorsqu'il s'agit de condition humaine. » Fallait-il pour autant faire intervenir la justice ? Une alliance entre parties, militant a priori dans le même sens, c'est à dire le respect des droits de toute forme de vie, n'est-il pas souhaitable ? « La manière de réagir de certains parents peut se comprendre car ils sont à fleur de peau, poursuit Charles Gardou, mais n'est-ce pas une erreur de vouloir poursuivre ce dialogue devant la justice ? » Jean-Luc Duval ne le voit pas de cet œil-là... « J'ai pris la peine d'appeler l'association pendant trente minutes, qui n'a jamais semblé prendre la mesure de la violence de ses propos. Les limites ont été plus que dépassées. Même l'agent de police qui a enregistré notre plainte était sidéré. On ne doit pas laisser passer ce genre de discours. Les passages litigieux ont certes été retirés mais apparemment plus sous la pression que par conviction. Il faut enrayer ce type de dérive particulièrement choquante sinon d'autres le feront en toute impunité ».
La forme souille le fond
La prose de PETA n'est pas sans rappeler quelques « bévues » qui ont, par le passé, suscité le même tollé de la part d'associations de personnes handicapées : la veine corrosive de l'humoriste Patrick Timsit qui comparait les personnes trisomiques à des crevettes ou encore le slogan « hasardeux » d'une célèbre marque de fromage « Un fromage de malade mental » (article en lien ci-dessous). Il faut être concerné pour prendre la mesure de tels propos sur des familles fragilisées par le handicap ; cette capacité d'empathie vaut pour toutes les parties. Chaque militant défend sa chapelle, parfois avec une incapacité manifeste à se projeter dans l'autre, nourrie par de nombreux archaïsmes et préjugés. Nul ne peut douter que le combat des défenseurs de la cause animale est légitime, louable, indispensable mais pourquoi « salir » un si noble engagement avec des propos aussi nauséabonds. Parfois la forme souille le fond !