Handicap.fr : Sur 751 députés européens siégeant au Parlement, combien sont « manifestement » en situation de handicap ?
Sylvie Guillaume : Six collègues présentent des handicaps qui nécessitent une aide humaine importante. Certains sont en fauteuil roulant, d'autres sourds comme les députés Hongrois Adam Kosa et la Belge Helga Stevens, ou aveugles. Mais, comme dans toute collectivité, certains ne souhaitent pas déclarer leur handicap, ce qui est également respectable.
H.fr : Qui était le premier député en situation de handicap ?
SG : On peut citer Monsieur Brian Crowley, élu pour la 1ère fois en 1994. Toutefois, depuis son élection en 2009, M. Kosa s'est rendu visible en présidant de l'intergroupe handicap qui rassemble des parlementaires handicapés et valides pour réfléchir à la manière dont le Parlement et les institutions européennes s'adaptent à la question du handicap. C'est l'un des intergroupes les plus anciens et les plus fréquentés. Il interroge sur l'activité et la présence de députés handicapés au sein du Parlement mais aussi sur les politiques menées par l'Union européenne en faveur des citoyens handicapés ; les deux sont menés en parallèle.
H.fr : Quel budget leur est alloué ?
SG : Pour ces six députés, le budget annuel est de 775 000 euros. Cela fait environ 10 000 euros par parlementaire et par mois. Il sert, notamment, à financer les interprètes en langue des signes, qui permettent aux élus de s'exprimer en réunion et sont parfois amenés à les suivre à l'étranger lors de leurs différentes missions, mais également de nombreuses autres adaptations.
H.fr : Par exemple ?
SG : Des services sont fournis pour les participants sourds et malentendants lors des réunions du Parlement, à savoir des boucles d'induction, la vélotypie et l'interprétation en langue des signes. Ou encore deux voitures de service ont été achetées en 2015 et aménagées spécifiquement pour les députés souffrant d'un handicap. Quant au site internet du Parlement européen, toutes ses pages devraient être conformes aux lignes directrices WCAG 2.0 dans un avenir proche*.
H.fr : Et du côté de l'accessibilité physique des lieux ?
SG : Depuis 2003, de nombreux travaux ont été réalisés pour l'améliorer. Désormais, tout projet d'extension, de rénovation ou d'aménagement des bâtiments doit respecter cet impératif. Tous les bâtiments du Parlement sont dotés d'au moins une entrée accessible, les cafétérias sont équipées de tables et de caisses adaptées aux personnes en fauteuil roulant. Le bureau de deux députés malentendants et de leurs assistants ont été équipés de gyrophares et d'un bouton d'alerte.
H.fr : Ce budget est-il sur le point d'être reconsidéré ?
SG : Fin décembre 2018, nous avons reçu une note qui faisait le point sur le soutien financier, logistique et administratif dont ces parlementaires ont besoin pour mener à bien leur mandat. Il est toujours possible de vouloir obtenir une couverture encore plus conséquente.
H.fr : Qui est à l'origine de cette note ?
SG : Pour aller au-delà des situations individuelles et répondre à des interrogations d'ordre général, les services du Parlement ont réalisé cette analyse. Comme il y avait un flou sur le remboursement des frais liés au handicap, nous souhaitions savoir concrètement ce qui était pris en charge ou non. L'objectif était aussi de savoir si une hausse de ce budget était nécessaire. Dans la perspective des élections européennes de 2019, peut-être allons-nous devoir augmenter la capacité d'accueil du Parlement des députés en situation de handicap mais, aujourd'hui, sommes-nous en mesure de les accueillir correctement ou devons-nous redoubler d'efforts ?
H.fr : N'est-ce pas aussi l'occasion de se pencher sur l'accessibilité des élections européennes ? Récemment, Sophie Cluzel a annoncé le droit de vote pour tous « sans restriction », notamment des personnes handicapées placées sous tutelle (article en lien ci-dessous). Comment le Parlement compte-t-il se mobiliser pour que tout le monde puisse accéder aux urnes ?
SG : Je salue cette volonté. Le Parlement européen n'est pas en situation de contraindre les États membres à réaliser l'accessibilité des bureaux de votes... Il peut faire des préconisations mais ne peut ni obliger ni sanctionner les États membres, qui font un peu comme ils veulent. Ceci dit, les mentalités ont considérablement évolué ; il faut franchir d'autres étapes qui permettront à tous les citoyens de prendre part sans entrave aux scrutins.
H.fr : Dans ce cas, comment pouvez-vous intercéder ?
SG : Dans le cadre de notre campagne institutionnelle, nous veillons à ce que les sites internet soient conformes aux instructions sur l'accessibilité, que tous les messages soient disponibles dans toutes les langues, y compris en langue des signes, ou encore qu'il y ait une transcription textuelle des discours.
H.fr : Avez-vous prévu des versions en Facile à lire et à comprendre (FALC) ?
SG : Tout à fait ! J'organise d'ailleurs fin février un débat au Parlement européen avec Inclusion Europe pour soulever la question de la participation des personnes présentant des handicaps intellectuels.
H.fr : Quand débute cette campagne ?
SG : Officiellement quatre ou cinq semaines avant les élections européennes du 26 mai, en France. La période d'élection dans l'UE est du 23 au 26 mai 2019 car certains États membres ne votent pas le dimanche.
H.fr : Et, pour les Européens en situation de handicap, les choses évoluent-elles dans un sens positif ?
SG : Sincèrement, oui, mais trop lentement. Sachant qu'il faut faire concorder les préconisations des institutions européennes avec la volonté des États membres et qu'il y a souvent des décalages, les délais deviennent très longs ! Nous arrivons au bout de la stratégie 2010-2020 et il reste encore beaucoup à faire...
*Un nouveau rapport « Démocratie, accessibilité numérique et Union européenne », rendu public par le Forum européen des personnes handicapées et Siteimprove en février 2019, analyse l'accessibilité des sites internet des parlements des 28 Etats membres de l'UE. Il constate le « faible score » de celui du Parlement européen, avec une note à peine supérieure à 55,8 sur 100, qui le place en dernière position.
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