10 ans loi 2005 : une belle loi à faire vivre ou revivre ?

10 ans de la loi handicap de 2005. La colère dans certaines bouches... L'Apajh réaffirme une position plus nuancée et surtout une volonté farouche de continuer à avancer. Paroles de Jean-Louis Garcia, son président, un "vieil instit" pédagogue.

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Handicap.fr : 10 ans après, quel bilan dressez-vous de la loi handicap du 11 février 2005 ?
Jean-Louis Garcia : C'est une très belle loi mais qu'il convient de faire vivre pleinement. Il y a eu de grandes avancées et il faut cesser de dire, comme je l'ai entendu trop souvent dans les medias à l'occasion de cet anniversaire, qu'en deux ans rien n'a bougé et qu'on a même reculé de 20 ans. Ou alors le prouver ! Il faut quand même se rappeler ce qu'était la France du handicap en 1995. Même si, évidemment, les choses ne vont pas aussi vite qu'on le souhaite. Par exemple en matière d'accessibilité, depuis le 11 février 2005, personne ne s'est vraiment préoccupé de l'échéance du 1er janvier 2015. Tout le monde disait : « Ça va arriver… Ça se rapproche... Ça arrive… ». Et après ? On s'est retrouvé dans un entonnoir. Il fallait anticiper et cela n'a pas été fait.

H.fr : Les médias ont largement couvert cet anniversaire et, ce qui ressort, c'est la colère…
JLG : Évidemment, c'est plus vendeur de montrer une personne en situation de handicap qui s'enchaîne aux grilles de l'Assemblée nationale ou brûle un cercueil noir en place publique que des militants réunis autour d'une table pour essayer de trouver une solution constructive. Et puis, dans la plupart des medias, on résume la vie des personnes en situation de handicap à un ascenseur, une rampe ou un escalier. Or c'est tout leur trajet de vie qui est impacté par cette loi.

H.fr : L'Apajh semble moins virulente, plus compréhensive que les autres associations, sur les reports d'accessibilité proposés par le Gouvernement.
JLG : Nous avons pris une position disons « singulière » il y a quelques mois déjà et qui n'est peut-être pas facile à gérer mais je suis un vieil instit et j'essaye de faire de la pédagogie. Dans le cadre de notre Charte de Paris pour l'accessibilité (article en lien ci-dessous), dont nous proposons d'ailleurs à tous de s'emparer, nous avons organisé 5 colloques en région. A Lille, il y avait dans la salle des militants APF qui étaient venus, entre autre, dire leur opposition aux Ad'AP (Agendas d'accessibilité programmés). Je leur ai répondu : « Je suis heureux que vous soyez là et que vous preniez la parole. Vous êtes mécontents et je l'entends. Mais que se passera-t-il si on renonce aux Ad'AP et qu'on s'en tient stricto sensu à l'application de la loi handicap de 2005 ? Vous allez mettre votre coiffeur, votre boulanger, votre médecin au tribunal ? ».

H.fr : Ca parait en effet n'avoir pas de sens…
JLG :
Au 1er janvier 2015, on était de toute façon au pied du mur, et l'Apajh a choisi de ne pas mettre les personnes en situation de handicap contre la société toute entière. Évidemment, nous devons rester vigilants sur l'application de l'ordonnance sur l'accessibilité du 26 septembre 2014 qui n'est pas parfaite et dont certains points me choquent. Mais, en l'état, c'est la meilleure option pour faire avancer les choses. Alors unissons nos forces pour affiner le texte mais pas pour rejeter en bloc ses 30 pages !

H.fr : Cette ordonnance pourrait-elle être menacée ?
JLG : Vous savez, on trouvera bien un juriste pour la casser au Conseil d'État. Et après ? On n'arrivera jamais à se remettre tous autour de la table pour trouver un point d'équilibre, comme ce fut le cas il y a quelques mois autour de la sénatrice Campion. Donc, on fait quoi ? On revient à la loi de 2005 et donc nulle part, avec pour seule option d'encourager chaque citoyen qui se sent lésé dans son accessibilité à saisir la justice. Les tribunaux saturés par des dizaines de milliers de plaintes, ça vous parait constructif ?

H.fr : Vos positions plus nuancées ont-elles un impact sur le combat collectif ?
JLG : L'Apajh fait partie du Comité d'entente qui réunit 70 associations du champ du handicap et nous ne sommes pas les seuls à défendre ce point de vue. Au sein de ce comité, justement parce que nous ne disons pas les mêmes choses, j'ai l'impression que nous sommes écoutés même si nous pouvons déranger. Ce que nous disons, c'est que maintenant que l'anniversaire des 10 ans est passé, il faut se remettre au travail. Ensemble ! Ne cédons pas à une bataille fratricide car les gouvernements ont tout à gagner d'un champ associatif qui pourrait sembler divisé.

H.fr : Au sein de l'Apajh, certains tiennent-ils des discours dissidents ?
JLG : Vous savez, président, je n'en suis que le porte-parole et, par exemple, sur la question des Ad'AP, nous avons fait le tour des départements pour prendre le pouls des militants, échanger et recueillir le point de vue de chacun. Certains de nos camarades sont en effet influencés par ce qu'ils entendent mais ce sujet recueille un consensus très fort, à plus de 85%.

H.fr : La sensibilité de l'Apajh, que l'on prétend plutôt de gauche, vous rend-elle plus indulgent à l'égard du Gouvernement actuel ?
JLG : Non, pas spécialement. L'Apajh est une association indépendante. Nous attaquons la droite comme la gauche sur certains points comme la non-suppression de la barrière d'âge de 60 ans pour l'attribution de la Prestation de compensation du handicap (PCH) ou les ressources des personnes en situation de handicap qui sont scandaleusement basses.

H.fr : Oui mais toutes les grandes lois fondatrices sur le handicap depuis 1975, on les doit à la droite !
JLG : C'est vrai. Je le rappelle d'ailleurs à tous les responsables de gauche. 1975, 1987, 2002 et 2005. Derrière toutes ces lois, il y avait surtout un homme, Jacques Chirac, qui avait toute une série de bonnes raisons pour le faire… Les décrets d'application sont sortis très vite après 2005, ce qui atteste une grande volonté de sa part. Mais il est vrai que la France était aussi dans une meilleure conjoncture financière. Cette volonté, je ne l'ai pas toujours ressentie avec l'ancien président de la République et je la retrouve aujourd'hui avec l'actuel. Le CIH (Comité interministériel du handicap) qui se réunit pour la première fois fin 2013, c'est l'actuelle majorité. La CDIsation des AVS, même chose. Et d'autres actions encore…

H.fr : Mais Nicolas Sarkozy est pour tous celui qui a augmenté l'AAH de 25% !
JLG : Oui, certes.

H.fr : En matière d'accessibilité, l'UMP donne des leçons alors qu'elle n'a quitté le pouvoir qu'il y a 3 ans. N'est-ce pas un peu gonflé ?
JLG : Ce n'est vraiment pas correct de sa part. J'ai vu passer des communiqués de presse au vitriol de l'UMP. Je conseillerais de rester sur une position « raisonnable ». Et de se souvenir qu'il y a quelques années, la ministre Morano défendait les dérogations dans la construction du bâti neuf. Des choses ont bougé avec la gauche ; idem avec la droite.

H.fr : Quel message adresser aujourd'hui aux personnes en situation de handicap ?
JLG : La décennie qui vient de s'écouler a permis d'asseoir de nouveaux droits mais a aussi laissé subsister des inégalités. Mais les choses bougent et j'ai vraiment l'intime conviction que nous avançons sur le bon chemin…

H.fr : Mais on pourrait vous répondre que vous n'êtes pas vous-même en situation de handicap. C'est plus facile pour vous de patienter…
JLG : L'Apajh est en effet un mouvement citoyen qui rassemble, comme moi, des personnes qui ne sont pas personnellement touchées par le handicap. Notre conseil d'administration est composé de personnes handicapées, de parents et de concitoyens valides. Et c'est certainement ce qui fait notre force car si on laisse la seule responsabilité de ce sujet aux personnes directement concernées, ce n'est plus de la responsabilité de la société tout entière et, en outre, ce serait une forme de communautariste. Quand vous militez contre le racisme, peu importe votre couleur de peau. Toute la société doit s'emparer de cette question et pas seulement la « famille »… C'est aussi cela avancer sur le bon chemin. Et quand, lors des derniers trophées de l'Apajh, un  jeune ouvrier d'ESAT s'approche vers moi pour m'embrasser et me dire : « Tu parles bien de nous. On voit que tu nous aimes. », je sais pourquoi je me bats.

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