Gérard Bonnefon: Handicap et Cinéma: personnages sur grand écran

Dès sa création, le cinéma a représenté les personnes ayant un handicap. Le film Lumière Concours de boules (1896) montre un homme se déplaçant à l'aide de béquilles et qui traverse la partie en cours. ...

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Georges Méliès disloque à plaisir les corps dans de courts films humoristiques : Un homme de têtes (1898), Le Cake-Walk infernal (1903)... Wallace Worsley, dans Notre Dame de Paris (1923) met en scène le remarquable comédien Lon Chaney, dans le rôle de Quasimodo et Tod Browning traite dans Freaks (1932) de l'humanité des « monstres de foire » qui étaient exhibés dans les baraques foraines et les cirques. Le film, après un échec commercial initial, va devenir à la fin des années 1960 l'œuvre de référence sur l'altérité. A partir de la sensation d'étrangeté, voire de peur, que provoque le handicap, les auteurs créent des personnages singuliers et des univers fictionnels où sont en jeu autant leurs représentations que leurs connaissances du handicap, sans omettre les émotions qu'ils ressentent. Et puis, il y a une histoire à construire où le handicap est un élément parmi bien d'autres, mais qui introduit dans tous les cas la dimension de l'altérité. La première manière de représenter, classique, est fondée sur des valeurs morales positives ou négatives bien marquées qui sont associées au handicap. Oscar, héros du film Le tambour, (1979, Wolker Schlöndorff) s'oppose au nazisme et à un destin programmé d'avance en refusant de grandir, avec Forrest Gump, (1994), Robert Zémékis construit une figure sympathique, candide et généreuse, mais le nain de L'éternel retour (1943, Jean Delannoy) incarne le mal. L'officier de police, tétraplégique, de Bone collector (2000, Philipp Noyce) utilise son intelligence et sa culture pour mettre un terme aux crimes d'un tueur en série. Ce type de personnages peut être aussi annonciateur d'évènements comme le jeune sourd de Quatre mariages et un enterrement (1993, Mike Newell) qui provoque un autre dénouement que celui attendu. Cette première manière de représenter, très clivée, est devenue moins dominante et d'autres personnages handicapés plus proches de la réalité de la vie apparaissent sur le grand écran : le jeune accordeur, aveugle, de Silence (1998, Mohsen Makhmalbaf), la jeune enfant appareillée, dans Les ailes du désir (1987, Wim Wenders), le professeur de psychologie, nain, de Cet obscur objet du désir (1977, Luis Buñuel), et dans son remarquable film The Station Agent (2003) Tom McCarthy montre des relations chaleureuses, respectueuses et intelligentes, en un mot normal, entre Fin, le nain et ses amis. Sur les plans de la formation et de la socialisation, Miracle en Alabama (1962, Arthur Penn), Les enfants du silence (1986, Randa Haines) et Ridicule (1996, Patrice Leconte) illustrent d'une manière dynamique l‘éducation et la rééducation de personnes ayant un handicap. Celles-ci peuvent accéder aux règles sociales, à la culture, penser et nommer les êtres et les choses. Les simulations du handicap introduisent la part du jeu et du drame. Elles correspondent à des nécessités pour se faire embaucher en jouant de la boiterie : Marius et Jeannette (1997, Robert Guédiguian), ou échapper à la déportation, en chaussant des lunettes noires et en se déplaçant à l'aide d'une canne blanche : Les guichets du Louvre (1974, Michel Mitrani), distraire un ami déprimé : Un éléphant ça trompe énormément (1976, Yves Robert). La simulation peut être sévèrement sanctionnée par la paralysie définitive, comme pour la jeune voleuse de La belle histoire (1992, Claude Lelouch), le faux paralysé dans Le miraculé (1987, Jean-Pierre Mocky) et aussi la mort dans L'homme au bras d'or (1955, Otto Preminger). Un cinéma plus engagé se dessine avec Pasolini qui présente dans Œdipe roi (1967) Œdipe devenu aveugle, rejoignant le peuple des usines et les marginaux, pour lutter avec eux pour une société plus juste et plus fraternelle. Les trois héros de Fortune express (1990, Olivier Schatzky) sont de la même trempe quand ils refusent l'enfermement institutionnel. Ils ne veulent pas être réduits à l'état de robots et rêvent d'un ailleurs qui aurait les saveurs de la vie. La critique sociale autant que la complexité et la souffrance de vivre avec un handicap et/ou la maladie sont présentes dans l'œuvre de Luis Buñuel : Los Olvidados (1950), Viridiana (1961), Tristan (1970), et il faut noter que « l'inquiétante étrangeté » freudienne trouve une traduction dans Un chien andalou (1928), une œuvre surréaliste, qui laisse une vive impression lors de la séquence de l'incision de l'œil. L'évolution la plus récente de la représentation concerne la place accordée au désir et à la sexualité. Que des personnages handicapés aiment, aient des relations sexuelles, des désirs, rompt avec l'interdit du plaisir dans lequel vivent encore des personnes handicapées : Nationale 7 (2000, Jean-Pierre Sinapi), En chair et en os (1997, Pedro Almodovar), Retour (1978, Hal Ashby), Le huitième jour (1996, Jaco Van Dormael) et Crash (1996, David Cronenberg). Autant de films qui contribuent à faire évoluer les mentalités. Le cinéma de fiction en mettant en scène des personnages handicapés ne fait pas un acte exceptionnel, même si ceux-ci sont toujours singuliers. Il est de plain-pied dans la société en montrant des représentations de la complexité humaine, dont celle de vivre avec un handicap et de la manière dont celui-ci est perçu par les autres, valides ou non. A sa manière, il contribue au dépassement des peurs ou des gênes et à l'évolution des mentalités, sans que cela soit son objet. Il nous interroge aussi sur nos relations avec les autres et sur nos comportements. Gérard Bonnefon Auteur de Handicap et cinéma Editeur : Chronique sociale Une rencontre-débat sera organisée lors du Salon Handica le 31 mars 2005 sur le thème : Le handicap à l'écran, « le personnage handicapé entre fiction et documentaire.
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