Chronique Croizon : faire tomber les murs des institutions !

handicap.fr collabore avec Philippe Croizon pour sa chronique "handicap" dans le Magazine de la santé, sur France 5. Le 16 décembre 2013, il aborde la nécessité de proposer aux personnes handicapées une vie " hors les murs " des établissements.

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Aujourd'hui, vous commencez votre chronique avec une chanson culte de « Pink Floyd »...
Oui, « The wall ». Faisons tomber les murs ! Il y a trente ans, ce message s'adressait aux écoliers mais, aujourd'hui, il concerne aussi les personnes handicapées vivant dans des établissements que l'on appelle « médico-sociaux ». Selon les chiffres publiés en 2010, on compte 100 000 enfants et 140 000 adultes accueillis dans ce type d'institutions en France. Je vais donc vous parler de leur « institutionnalisation ».

Et si vous avez choisi ce thème, ce n'est pas par hasard. Fin novembre 2013, la presse s'est emparée d'une affaire de maltraitance dans un établissement du Gers.
En effet. Pendant des années, les résidents handicapés ont été négligés et humiliés et malgré les nombreuses alertes du personnel et des parents dénonçant des « pratiques d'un autre âge », la direction a pu continuer ses activités en toute impunité. Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée aux personnes handicapées, vient enfin de décider de placer cet établissement sous tutelle et a demandé une enquête. Mais cette omerta est plus fréquente qu'on ne le croit et des cas de maltraitance ou de décès font régulièrement la une des journaux... On est en droit de se demander : « Que se passe-t-il derrière les murs de nos institutions pour personnes handicapées, et plus globalement, ne serait-il pas temps de les faire tomber ? ».

« Permettre à chacun de vivre dans la cité », c'est un discours que l'on entend de plus en plus souvent.
Oui. On ne parle plus d'intégration mais d'inclusion. L'idée c'est de permettre aux personnes handicapées, qui le souhaitent et le peuvent, de vivre avec un maximum d'autonomie en milieu ordinaire. Or nous avons jusqu'à présent pris grand soin de « cacher » nos citoyens handicapés. Savez-vous quel est le département qui compte le plus de places en établissements spécialisés ? La Lozère, c'est très loin et très désert. Très loin de nos regards...

Mais vivre chez soi lorsqu'on est handicapé, ce n'est pas toujours possible...
Bien sûr, tout n'est pas si simple. Lors d'un récent colloque, le président d'une association de personnes atteintes de handicaps rares mettait un bémol sur cette question en disant que, dans de nombreux cas, qui exigent des soins complexes, le placement en établissements devenait évidemment inévitable. Il ne faut pas systématiquement idéaliser la vie à domicile, qui peut apporter le meilleur comme le pire, et notamment une grande solitude. Il faut donc trouver un juste compromis entre un placement longtemps considéré comme « non négociable » et une ouverture vers le milieu ordinaire, dès que la situation le permet. Pour le moment, créer des places en établissements, c'est donc encore à l'ordre du jour.

Mais le problème, c'est qu'il n'y en a pas assez en France...
En effet. Alors vous savez ce qu'on fait ? On condamne les proches, en général les mamans, à arrêter de travailler, avec toutes les répercussions financières que cela suppose. Toutes les parties concernées planchent d'ailleurs sur le rôle de l'aidant familial qui, se dévouant corps et âmes, doit pouvoir bénéficier d'un statut dédié et de contreparties (retraite ou financières). Ou alors on envoie nos enfants à l'étranger, et notamment en Belgique. La polémique ne cesse d'enfler autour de ces « exils forcés ». Il y a plus de 5 000 enfants et adultes français qui sont obligés de jouer les transfuges en Belgique. Un chiffre en constante augmentation ! La France connait véritablement une pénurie, non seulement de places mais de solutions alternatives.

A ce sujet, en octobre 2013, une affaire a défrayé la chronique, celle d'Amélie...
Amélie est une jeune femme de 19 ans atteinte du syndrome de Prader Willi qui entraîne troubles autistiques, boulimie et violence. Elle fait vivre un enfer à ses parents qui doivent, depuis des mois, la garder à domicile car aucun établissement ne veut d'elle. Alors la famille a mis l'Etat face à ses responsabilités et l'a traîné devant le tribunal. La justice lui a donné raison et a obligé l'Etat à trouver une place pour Amélie en moins de quinze jours.

C'était une première en France qui peut certainement créer un précédent...
Evidemment. Alors alertée par cette situation, Marie-Arlette Carlotti a aussitôt décidé de mettre en place un dispositif pour les « cas critiques » qui permettra de mobiliser différents acteurs pour parer aux situations les plus urgentes (lien ci-dessous). Il devrait être opérationnel début 2014. Les proches devront alors appeler le 3977, un numéro dédié à la maltraitance des personnes handicapées qui existe déjà depuis 2008. Reste à savoir si ce dispositif sera suffisamment efficace pour répondre aux centaines de demandes en attente.

Il existe des alternatives qui permettraient de trouver des solutions plus inclusives ?
Evidemment. Le modèle « carcéral » hérité du passé commence d'ailleurs à se fissurer. Il faut oser inventer pour permettre aux personnes handicapées qui le souhaitent de vivre « hors les murs ». Pour cela, les professionnels du médico-social et les associations de personnes handicapées vont devoir laisser tomber leur prérogatives et leurs habitudes et proposer des prises en charge plus innovantes. De belles initiatives voient le jour : des appartements thérapeutiques, des familles d'accueil, des appartements réservés par des bailleurs sociaux, comme à Arras (lien ci-dessous) où des personnes trisomiques vivent en milieu ordinaire. Ou encore l'Institut de mai, à Chinon, qui se définit comme une « école de la vie autonome » et forme les personnes ayant un handicap moteur à accéder progressivement à l'autonomie dans une vingtaine de studios domotisés. C'était impensable en France il y a encore quinze ans. Par exemple, pour les enfants, on privilégie les unités mobiles qui se déplacent sur leurs lieux de vie (maison ou école) pour leur prodiguer les soins nécessaires.

C'est ce qui ressort le plus souvent : une aspiration à l'autonomie, à la liberté. Et c'est possible. D'autres pays l'ont prouvé ! C'est une vraie révolution culturelle à laquelle les personnes handicapées aspirent... Reste à savoir si tous les Français auront envie de la mener...

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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