Handicapée, et alors ?

Droits fondamentaux, devoirs moraux ou la nécessité de surfer sur la lame, entre résignation et concession, besoins et envies, liberté et règles de vie....

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On nait handicapé ou on le devient, mais on est avant tout. Le fauteuil est arrivé dans ma vie à l'automne de mes 20 ans. Certains n'y ont vu qu'une étape évidente dans l'évolution de la maladie qui me rongeait depuis déjà dix ans. Je me suis pris le mur. Je pensais être plus forte que cette maladie, je souffrais mais je marchais, je ne pensais pas pouvoir souffrir plus et pourtant...Je suis alors entrée dans une lente résignation, un abandon progressif aussi insidieux que le mal qui me volait millimètre après millimètre un peu d'amplitude par-ci , un peu de force par-là. Se construire avec la maladie avait déjà laissé des traces, quand elle s'est mise à me détruire je me suis perdue. J'ai arrêté mes études, je ne sortais plus, je ne riais plus, je ne vivais plus : j'étais handicapée. Puis au printemps une amie est venue, et nous sommes allées faire du shopping avec mon gros fauteuil loué à la pharmacie du coin. J'ai acheté un joli petit pull blanc. Ce jour là Patricia m'a rendue un pouvoir essentiel dans notre société : choisir un magasin, faire un choix, me faire plaisir, acheter un objet concernant mon apparence : j'étais redevenue une consommatrice. Cet acte qui peut paraître banal m'a fait prendre conscience que j'avais encore des chemins à choisir. Vivre ou mourir, j'ai choisi de vivre : handicapée et alors ? J'ai repris mes études, me suis mariée, je suis partie en vacances en camping, j'y ai survécu ! J'ai eu une fille, géré la crèche où elle allait, puis une deuxième fille puis une troisième. Puis j'ai choisi où je voulais vivre, qui je voulais voir. Puis une quatrième, puis une voiture puis un travail. Je me suis réappropriée. J'ai lentement pris conscience de mes besoins, puis de mes droits et enfin de mes envies. Forte de ces convictions je pars à l'assaut de ma vie, sachant faire fi des lieux inaccessibles, des regards pesants, usant jusqu'au confins de mes capacités. Je suis redevenue une personne. J'ai pris ma vie en main, simplement parce que personne ne pouvait le faire à ma place, être handicapée ne donne pas uniquement des droits, n'avons nous pas aussi quelques devoirs ? Handicapée et alors ? Se soigner, prendre soin de son apparence, se former, travailler, subvenir aux besoins de sa famille adapter son logement pour être plus efficace et plus à l'aise sont pour moi autant de devoirs que de droits, comme tout individu. Il est évident que la solidarité envers les plus fragiles est une obligation mais l'intégration est aussi un refus de sa propre exclusion et il y a peut-être espoir d'une communauté consciente des individualités qui la composent à condition que les individus veuillent en faire partie et viennent à cette communauté. Réclamer l'accessibilité des lieux est un droit, utiliser les lieux accessibles est un devoir. A quoi bon équiper des piscines si personne n'y vient jamais ? Le risque est grand alors de voir s'effondrer rapidement ce qui aura été acquis dans la lutte, de voir une société trop tentée de renoncer à l'effort. Si avant d'être résumé à un adjectif on peut se considérer comme une personne, il y a peut-être espoir de vivre un jour tous ensemble dans le respect de l'autre et de ses différences.
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