Né en Algérie voilà quarante ans, Abdel a tôt ressenti la discrimination. Celle qui faisait de lui, le berbère, un objet de haine dans son propre pays. Atteint de polio, il arrive en France à l'âge de quinze ans et entre dans un centre de rééducation à Lamalou-les-Bains. A dix-sept, le voilà de retour au pays, ignorant de sa culture et de sa famille. « Je me suis battu pour recommencer à vivre ». Inscrit au collège français de Constantine, il poursuit ses études jusqu'en classe de seconde, mais incapable de financer une scolarité payante, il s'engage dans une filière comptable et obtient son diplôme. Toujours en butte aux haines raciales, il partage son temps entre un travail dans lequel il ne peut progresser et la lutte pour l'autonomie de la Kabylie. Manifestations, arrestations, garde à vue... il finit par demander l'asile politique en France.
Plus d'autonomie
Evelyne est IMC. Après dix-sept années passées chez ses parents, elle a choisi la liberté et trouvé son indépendance en intégrant un foyer, le CEM de Donmartin (Rhône) où elle restera dix ans. Grande sportive, la jeune femme participe même aux Jeux paralympiques de New-York en 1984 obtenant plusieurs médailles. Toujours à la recherche de plus d'autonomie, elle s'installe en couple avec un autre résidant de Dommartin, lui aussi IMC. Ils vivent en appartement mais la situation entre eux devient de plus en plus tendue et elle s'apprête à quitter son compagnon. La rencontre avec Abdel va tomber à pic. Sans travail et en attente de régularisation de sa situation, Abdel a eu besoin de se rendre utile. Il travaille comme bénévole au sein de l'association LRH, Lyon Rencontres Handicap... En septembre 2003, il lui échoit de s'occuper d'Evelyne. Echanges de regards, de sourires. « On a échangé nos coordonnées, raconte, Abdel, mais je croyais que notre relation s'arrêterait là. »
Adultes, sauf en amour
Après avoir joué un temps le rôle de médiateur dans le couple d'Evelyne, Abdel va s'installer avec la jeune femme. En janvier 2004, ils emménagent dans un appartement de la Croix-Rousse, après avoir déposé (décembre 2003) un dossier en vue de leur mariage. Et là, le rêve devient cauchemar. Déjà confrontés à l'opposition des parents d'Evelyne, ils essuient le refus d'un employé de mairie qui demande que soit diligentée une enquête. Evelyne, malgré les difficultés d'élocution liées à son handicap, doit répondre à des questions d'ordre intime. Et le couperet tombe. Abdel est soupçonné de ne vouloir épouser Evelyne dans le seul but d'obtenir un titre de séjour définitif. Quant à Evelyne, on refuse de prendre en compte son avis. « Adulte en tout, sauf en amour...» titrait un magazine durant l'été 2004. Pire encore, ses parents engagent une action de mise sous tutelle... un geste qui, sans doute motivé par le désir de protéger leur fille, ne s'efface pas de la mémoire d'Evelyne.
La forme et pas le fond
« Pourtant, poursuit Abdel, nous avions juste envie de vivre ensemble, comme un couple normal... Evelyne a eu la force et l'intelligence de déjouer tous les pièges qu'on lui tendait. » La procédure est longue et pénible. Deux ans et demi de tractation, un comité de soutien actif. La première victoire du couple, c'est le refus de mise sous tutelle, « le juge avait reconnu son autonomie ! ». Mais il leur faudra attendre novembre dernier pour que la justice lève l'opposition. « Nous sommes heureux de cette décision, lâche Abdel, mais un peu déçus quand même que le juge ne se soit prononcé que sur la forme ».
Un vrai sens
Aujourd'hui, dans le petit appartement de la Croix-Rousse, l'ambiance n'est plus à l'angoisse ni à la morosité, le mariage a été célébré. Pas le moindre doute, pour ces deux là, l'échange des consentements a un vrai sens et une rare profondeur. Abdel déclare : « La femme est l'avenir de l'homme, Evelyne est le mien et je m'engage à être le sien». Et ce sentiment ne se dément pas quand on est reçu chez Evelyne et Abdel, au dixième étage d'une tour avec vue sur les Monts du Lyonnais.
« Rien ne nous arrête »
Il est dix-huit heures et Abdel vient de rentrer. « Je suis absent toute la journée, elle aussi. On se retrouve le soir à la maison, comme n'importe quel couple ! » Car Abdel est toujours bénévole et s'occupe, au sein de l'association Si t'es gone, de personnes en difficulté ou en réinsertion, RMIstes, drogués ou alcooliques. Quant à son épouse, elle passe ses journées dans un Centre d'activités de jour. L'appartement ? Ils l'ont adapté au mieux. « Ca a été une vraie galère ! » lance Abdel qui raconte avoir interpellé l'OPAC et les organismes sociaux, mais avoir dû renoncer devant le montant des devis. « Du coup, c'est moi qui m'occupe de tout, même des transferts. Une auxiliaire de vie vient une fois par semaine, sinon, mes horaires me permettent de rester avec Evelyne et de m'occuper d'elle, matin et soir. » Les courses, ils les font ensemble, se rendant au Monoprix du quartier, se faisant parfois livrer leurs achats. Sinon, c'est le fauteuil d'Evelyne qui sert de caddie : « Parfois, il y a six sacs accrochés aux poignées ». Leurs loisirs, ce sont les ballades, les dîners au restaurant . En ville, ils empruntent les transports en commun. « Rien ne nous arrête ! » conclut Abdel. Ha ! Une dernière chose, pour les vacances d'été, Evelyne et Abdel, vont rejoindre les bords de la Méditerranée. Quand on vou