Handicap. fr : Depuis combien d'années, les Parcs nationaux se mobilisent-ils pour l'accueil du public handicapé ?
Jean-Marie Petit : Certains PN comme la Vanoise ou les Pyrénées étaient des précurseurs et sont déjà engagés depuis de nombreuses années. J'étais moi-même jeune chargé de mission dans le parc du Mercantour dans les années 80. Nous avions déjà mis en place des circuits pour les personnes à mobilité réduite ou malvoyantes, mais c'était très embryonnaire : on cherchait un terrain plat, on vérifiait le roulement et on posait trois panneaux en braille.
H : Qu'est ce qui a changé aujourd'hui ?
JMP : Avant 2007, chaque parc travaillait en parallèle mais la mise en place de la structure Parcs nationaux de France a permis de coordonner les actions des neuf parcs, de les harmoniser et de les valoriser. L'accueil des personnes handicapées s'inscrit tout naturellement dans cette volonté fédérative et permettra d'être encore plus performant sur cette question.
H : Quelle est la volonté des Parcs nationaux dans ce domaine ?
JMP : Longtemps les férus de montagne ont considéré que la montagne se méritait, qu'il fallait y accéder par l'effort, en baver pour en tirer tous ses bénéfices. Ce fondement judéo-chrétien, un peu ségrégationniste, excluait évidemment les personnes en situation de handicap. Heureusement, depuis dix ans, l'angle d'attaque a bien changé. La loi de 2005 a contribué aux changements de mentalité, et les visiteurs handicapés ne sont plus considérés comme la cinquième roue du carrosse lors des aménagements. Notre politique, c'est d'ailleurs: « Comment rendre la nature accessible à tous, et en particulier aux personnes handicapées ? » Nous ne souhaitons pas pour autant mettre en place des équipements spécifiques et stigmatisants.
H : Justement, comment arriver à créer des aménagements accessibles dans un milieu naturel, sans forcément tout « bétonner » ?
JMP : Dans les grandes réserves et les Parcs nationaux, il y a encore de la marge entre ce qui est fait actuellement et un bétonnage intensif de tous les sentiers. Il faut rester pragmatique ; nous faisons en sorte d'aménager quelques sites spectaculaires, comme par exemple le vallon du Lauzanier dans le Mercantour. Le promeneur handicapé accède à un parking d'où part un sentier carrossable d'un km de long, adapté à plusieurs types de handicap, qui permet d'admirer les prairies, les forêts de mélèzes, les névés et les glaciers.
H : Mais ce n'est qu'une partie infime de la richesse des panoramas ?
JMP : C'est le grand débat : faut-il tout équiper ? Mais franchement, il faut trouver des solutions acceptables pour faciliter l'accès à des sites ou espaces protégés sans pour autant les dénaturer. L'adaptation au handicap ne crée ni appréhension ni pression et n'occasionnera pas des équipements démesurément ambitieux. C'est contraignant d'un point de vue financier mais pas en termes d'impact visuel. Et je vais vous raconter une anecdote : à quinze jours de son inauguration un sentier aménagé a été balayé par la tempête. Dame nature finit toujours pas reprendre ses droits.
H : Vous rencontrez donc le même problème que dans les bâtiments historiques ?
JMP : Oui, si ce n'est que nous sommes beaucoup moins avancés car nous travaillons sur des espaces infiniment plus vastes. Le partenariat sur trois ans avec la GMF, portant principalement sur les questions d'accessibilité, nous permet d'être plus efficace encore sur cette question et d'étoffer nos actions.
H : Quel serait, selon vous, l'aménagement idéal ?
JMP : Par exemple sur un parc qui aurait le label « tourisme et handicap », on pourrait imaginer rendre accessible une demi-douzaine de sentiers sur un total d'une centaine. Car, après les avoir créés, il faut aussi les entretenir, en témoigne l'anecdote précédente. On ne va pas installer partout des téléphériques qui risqueraient d'entraîner un accès de masse puisqu'ils seraient, de toute façon, utilisés à 95 % par d'autres usagers. Le handicap n'est pas notre Cheval de Troie.
H : Quel type d'accueil proposez-vous aux visiteurs handicapés qui souhaitent se rendre dans un parc ?
JMP : Pour preuve que les attitudes ont évolué, chaque parc dispose désormais d'un référent handicap qui met en place ses propres actions et dispose d'une liste d'aménagements accessibles. Le mieux est de s'adresser à l'accueil des maisons de parc.
H : Les agents des parcs s'investissent-t-ils pleinement dans cette prise en charge ?
JMP : Et comment ! J'aimerais vous citer le cas d'un chargé de mission scientifique, grand spécialiste du bouquetin. Il vous explique presque la larme à l'œil tout le bonheur qu'il a à présenter son parc depuis qu'il a mis en place des visites adaptées au public handicapé. Un exemple parmi tant d'autres... Nos agents ne vivent vraiment pas cela comme une contrainte.
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Parcs nationaux : l'utopie d'une montagne pour tous ?
Comment concilier la protection des espaces naturels protégés et les aménagements nécessaires à l'accueil du public handicapé ? Un casse-tête colossal ? Réponses de Jean-Marie Petit, directeur de Parcs nationaux de France