* Pascal Dreyer est chargé de mission et animateur des pôles « habitat et autonomie » et « usages et façons d'habiter » au sein de Leroy Merlin source.
Handicap.fr : En 2005, Leroy Merlin créait Leroy Merlin Source. Quelle est son ambition ?
Pascal Dreyer : Leroy Merlin source a deux objectifs : nourrir tout d'abord la réflexion interne de l'entreprise sur la problématique du logement ; ensuite réunir chercheurs, architectes, professionnels de la construction pour contribuer à la réflexion globale sur la thématique de l'habitat.
H : Une personne handicapée peut-elle solliciter les experts de Leroy Merlin Source pour aménager son logement ?
PD : Non, ce n'est pas notre vocation, même si, évidemment notre travail a des répercussions pour nos clients, notamment à travers la sélection de produits et de solutions, et l'accompagnement des projets habitat que proposent nos collaborateurs dans les magasins. Mais il nous arrive parfois, sur demande de certaines équipes, d'orienter les clients vers les associations et acteurs de l'habitat (Cicat, cellule habitat des grandes associations) ou vers des architectes partenaires.
H : Venons-en à une question beaucoup plus large : la loi de 2005 est-elle applicable dans l'habitat ?
PD : C'est une question complexe car cette loi se heurte, dans l'habitat privé, à de nombreuses réticences, à commencer par celles des propriétaires privés puisque les obligations ne s'appliquent pas à eux. Mais il y a surtout, en France, des freins culturels à l'adaptation du logement, partie intégrante du patrimoine. Les proches des personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer, par exemple, constatent que le logement n'est plus adapté mais ne souhaitent pas pour autant engager des modifications. Modifier le cadre bâti est difficile et touche à des représentations qui bougent mais très lentement.
H : En France, c'est donc l'occupant qui s'adapte au logement et pas le contraire ?
PD : Tout à fait. Le logement est une richesse, qui permet de se prémunir en cas de coup dur ou pour faire face à la vieillesse, et peu de gens acceptent de toucher à leur cadre de vie, avec la crainte, par exemple, de stigmatiser une maison accueillant une personne handicapée ou dépendante, et d'avoir des difficultés lors de la revente.
H : Mais d'autres pays n'ont pas ce même réflexe ?
PD : Non, les pays du Nord ou anglo-saxons n'ont pas cette mentalité. Aux Etats-Unis, par exemple, il a fallu repenser les logements, après la guerre du Vietnam, pour faire face à l'afflux des soldats handicapés. Mais il est vrai que les Américains ont pu franchir le pas plus facilement car ils n'ont pas un cadre bâti ancien et que l'espace n'est pas contraint !
H : On a donc peu de chances d'espérer une amélioration de l'accessibilité dans notre parc immobilier ancien ?
PD : Cela suppose une immense révolution, qui concerne tous les acteurs : depuis l'habitant jusqu'aux concepteurs et commanditaires des logements, en passant par les promoteurs, les constructeurs, les artisans... Il nous faut passer de la conception de logements adaptés, qui est figée, à celle de logements adaptables, c'est-à-dire pouvant évoluer avec leurs occupants sur une longue période de temps.
H : Aborde-t-on les questions d'accessibilité et de handicap dans le cursus de formation des architectes ?
PD : J'ai bien peur que cet aspect ne soit très maigre ! La prise en compte du handicap se fait sous contrainte ou ne se fait pas ! A l'issue de l'une de nos journées d'étude récentes, un architecte a déclaré : « Vous ne m'obligerez jamais à construire la ville des handicapés ! ». Et pourtant, avec le vieillissement de la population, on peut tirer des leçons de ce qui est proposé pour faciliter la libre circulation des personnes handicapées, et faire en sorte que ces propositions ne soient plus stigmatisantes.
H : Les architectes seraient donc des artistes qui refusent qu'on contraigne leur créativité ?
PD : Il y a évidemment ce côté « michelangelesque » chez certains d'entre eux. Un architecte construit pour un homme blanc, jeune, performant, et intègre rarement la notion de genre, de handicap ou de vieillissement !
H : Construit-on encore des bâtiments neufs qui ne sont pas accessibles ?
PD : Cela arrive ! Il y a encore des erreurs magistrales de construction. Il faut alors revoir tous les plans. Parfois, on s'en rend compte trop tard comme ce musée de province avec son atrium sublime mais inaccessible à cause de quelques marches. Pas question pour l'architecte de casser ses volumes avec une rampe d'accès. Et l'ascenseur est toujours en panne ! Certains continuent de faire passer le « geste » de l'architecte avant le confort d'usage. Il existe pourtant un outil précieux pour éviter certaines erreurs, outil proposé par Régis Herbin, et qui est très utile, celui de Haute qualité d'usage (HQU) !
H : Les personnes à mobilité réduite sont-elles condamnées à vivre au rez-de-chaussée ?
PD : Oui, et paradoxalement de plus en plus... C'est le plus simple et le moins onéreux. La plupart des programmes de construction mettent systématiquement les personnes âgées et handicapées au rez-de-chaussée ! Or elles ont aussi droit au choix et à la possibilité d'un parcours résidentiel qui ne soit pas conçu par défaut.
H : Quelles sont les problèmes majeurs, dans le domaine du logement, rencontrés par les occupants handicapés ?
PD : Dans leur domicile, ils s'adaptent assez bien mais le problème le plus important ce sont les parties communes. Les copropriétés refusent d'assumer le financement des aménagements. Dans certains immeubles, les occupants handicapés ont du faire installer un ascenseur à leur propre frais, et sont les seuls à disposer de la clé. Et pourtant, leurs voisins sont des personnes vieillissantes qui en auraient pleinement le bénéfice. Mais on touche là des mécanismes de solidarité qui ne sont certainement pas une priorité au sein des copropriétés privées.
H : Les questions de logement sont-elles suffisamment prises en compte dans le débat sur la dépendance actuellement dans toutes les bouches ?
H : C'est évidemment une question qui va devenir centrale. On incite les personnes dépendantes à rester chez elles, mais avec quels moyens, et avec quel espace au sein du domicile pour les aidants ? Ce dernier point est essentiel. Il faudrait pouvoir prévoir, par exemple, des espaces de repos pour ceux qui partagent leur temps avec les personnes dont ils s'occupent.
H : Quelle serait la maison idéale pour une personne ayant, par exemple, un handicap moteur ?
PD : Une « maison à elle », où elle se sent en sécurité, où elle peut réaliser toutes ses activités et qui ne l'exclut pas de la relation avec les autres. Partant de ce principe, il y a autant de maisons que de personnes ou de handicaps. Le logement d'une personne handicapée n'est pas différent de celui d'un « valide ». On imagine toujours les personnes en fauteuil roulant vivant dans des lofts, avec des grands espaces de circulation. Mais elles ont aussi besoin d'ambiances chaleureuses, d'espaces d'intimité. Elles n'ont pas forcément envie qu'un aidant fasse leur toilette au milieu du séjour ! Les espaces ouverts, c'est la tendance, façon cuisine américaine, mais ce manque d'intimité ne convient pas à l'esprit français, que l'on soit valide ou handicapé !
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