Handicap et fonction publique : l'Etat doit être exemplaire

La 1ère journée de sensibilisation 'emploi et handicap' dans la Fonction publique s'est tenue le 12 mai 2011. Symbole fort ou coup d'épée dans l'eau ? Qu'en pense Arnaud de Broca*,animateur de la commission emploi et formation du CNCPH**

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Handicap.fr : Georges Tron, secrétaire d'Etat de la fonction publique a lancé, le 12 mai 2011, la première journée du handicap. En tant qu'animateur de la commission emploi du CNCPH, que pensez-vous de cette initiative ?
Arnaud de Broca
: Nous ne pouvons évidemment que la saluer car c'était une action nécessaire. Elle est à l'initiative de Georges Tron qui veut marquer son engagement dans ce domaine, c'est-à-dire rendre cette thématique publique. Mais elle présente toutes les limites d'une journée de sensibilisation, et doit évidemment être pérennisée. Il ne faut pas se contenter de rester dans une démarche de « com » !

H
: Qu'en est-il du « cas » de l'Education nationale ?
ADB
: Elle fait figure de mauvais élève ! Les statistiques de l'emploi des travailleurs handicapés dans la Fonction publique ont d'ailleurs longtemps été calculées hors Education nationale. C'est un mammouth sur lequel nous avons assez peu de visibilité. Alors, même si, en 2010, elle a eu le « courage » de recalculer son taux d'emploi (on arrive à peine à 1.3% !), elle reste vraiment à la traine. Ce ministère, c'est le cheval de bataille de notre commission. La situation de l'emploi des travailleurs handicapés y est dramatique, et tous les moyens sont bons pour réduire la contribution. Elle a fait adopter l'exonération auprès du FIPHFP (Fonds pour l'Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique), au motif qu'elle investissait son budget « travailleurs handicapés » dans l'emploi des AVS. C'est une réponse un peu rapide ! Une telle dérogation est une interprétation non-conforme à la loi handicap de 2005. L'Etat doit être exemplaire et, dans ce domaine, il ne l'est pas !

H
: C'est étonnant car on pourrait imaginer ce milieu plutôt intellectuel davantage ouvert à la différence...
ADB
: Il y a très peu de professeurs handicapés. A cause peut-être de cette idée que les personnes handicapées ne sont pas en mesure de transmettre le savoir. On reste quand même dans un monde élitiste. Un esprit sain dans un corps sain ? Mais il y a aussi le problème de maintien dans l'emploi des professeurs devenus handicapés ou fragilisés. Il faut être robuste pour tenir une classe ! Et puis il y a aussi de nombreux autres postes que celui d'enseignant que pourraient occuper les travailleurs handicapés.

H
: Oui mais, à l'inverse, le ministère de la Défense semble remplir ses obligations alors qu'on suppose des métiers de terrain peu compatibles avec des situations de handicap...
ADB
: Il faut évidemment voir à quels postes les personnes handicapées sont affectées. Et analyser également les décomptes, dans la mesure où la loi permet de faire entrer dans les statistiques les anciens militaires titulaires d'une pension d'invalidité ou les veuves et orphelins de guerre.

H
: Quels sont les dossiers que défend votre commission ?
ADB
: La formation est un sujet récurrent, qui n'avance pas. Mais nous abordons aussi la question des entreprises adaptées, qui sont dans une situation catastrophique, la médecine du travail, les accords de branche qui ne sont pas toujours de très bonne qualité. Tous ces sujets sont communs au public et au privé.

H
: N'y-a-t-il pas un dossier « fonction publique » d'actualité ?
ADB
: Depuis longtemps nous demandons à ce qu'un fonctionnaire handicapé qui veut obtenir l'aide du FIPHFP puisse saisir directement cet organisme (comme c'est le cas pour les travailleurs du privé avec l'Agefiph). Pour le moment, il est obligé de passer par son employeur.

H
: En quoi ce système est-il préjudiciable ?
ADB
: Parce qu'il impose un intermédiaire supplémentaire, ce qui finit par créer un véritable goulot d'étranglement. En d'autres termes, les demandes progressent très lentement, ou n'aboutissent jamais ! D'autant que les actions du FIPHFP restent très méconnues par les employés de la Fonction publique, contrairement à l'Agefiph qui mène de grande campagnes nationales très visibles, avec des ambassadeurs de renom comme Jamel Debouzze ou, plus récemment, le jeune chef Gregory Cuilleron. Il est vrai que le FIPHFP est une institution très jeune, puisqu'elle a été créée après la loi handicap de 2005, alors que l'Agefiph existe depuis 1987.

H
: La situation de l'emploi des personnes handicapées est-elle meilleure dans les autres pays de l'Union ?
ADB
: En France, ce n'est pas forcément la pire. Nous avons mis en place une obligation légale, comme l'Allemagne, que certains pays nous envient. En Angleterre, le système est fondé sur le principe de non discrimination. Aucun des deux systèmes ne semble donner plus de résultat. La France, depuis la loi de 2005 d'ailleurs, cumule ces deux politiques avec, d'une part, une obligation d'emploi et, d'autre part, des mesures antidiscriminatoires.

H
: Mais rassurez-nous, avec toutes les mesures mises en œuvre, elle s'améliore tout de même ?
ADB
: Le taux de chômage des travailleurs handicapés reste deux fois supérieur à la moyenne nationale, soit environ 20 %. Il a bien résisté au moment de la crise - il y a eu moins de licenciements- mais les derniers chiffres font état d'une aggravation du chômage des travailleurs handicapés.

H
: Comment expliquez-vous cette évolution ?
ADB
: Certaines entreprises font de réels efforts pour recruter des jeunes travailleurs handicapés diplômés mais le problème majeur, c'est le maintien dans l'emploi. L'entreprise crée du handicap et n'a souvent aucune alternative pour le reclassement de cette main d'œuvre fragilisée. On constate un nombre grandissant de licenciements pour « inaptitude au travail », à la suite d'accidents du travail ou de dépressions, surtout chez les seniors, qui se trouvent alors totalement exclus du marché du travail, avec un avenir professionnel et social complètement bouché. Il ne faut pas oublier que la majorité des handicaps surviennent au cours de la vie, a fortiori le handicap psychique qui continue de faire très peur.

H
: Y-a-t-il donc un profil type du travailleur handicapé, dont les entreprises ne veulent pas ?
ADB
: 45 ans, non diplômé, avec un handicap lourd ! Autant vous dire que le marché du travail n'est pas fait pour lui. Alors même si la loi de 2005 a permis des avancées très positives, le handicap continue de faire peur, tant à la hiérarchie qu'aux équipes, car ce sont après tout elles qui sont en première ligne pour accueillir leurs collègues handicapés. On accable souvent les patrons mais c'est un engagement qui doit être collectif...

* Egalement secrétaire général de la FNATH, association qui conseille et défend les personnes accidentées de la vie et handicapées** Comité nationale consultatif des personnes handicapées

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