Travailleurs handicapés : la qualité de vie, une chimère ?

La " qualité de vie au travail " des personnes handicapées, ça signifie quoi ? L'évolution de la sphère professionnelle est-elle compatible avec le handicap ? Les mutations du monde du travail peuvent-elles réellement permettre une telle inclusio

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Le préambule laisse perplexe... La qualité de vie au travail des personnes handicapées peut être entendue de deux façons : l'intégration des travailleurs handicapés, mais aussi la « fabrication » de travailleurs handicapés par le monde du travail. Car il ne faut pas oublier que l'accroissement de la pénibilité de l'emploi favorise le développement des maladies professionnelles, des TMS (troubles musculo-squelettiques), du stress et des addictions. Sans oublier, évidemment, les accidents du travail...

A une époque où l'inclusion professionnelle des personnes handicapées est dans toutes les bouches, c'est un « détail » que les discours bienveillants omettent parfois d'évoquer. Le monde du travail ne serait-il qu'une « usine à handicap » ? C'est à cette question qu'a souhaité répondre Dominique Lhuilier, professeur des universités au Conservatoire national des Arts et métiers, qui s'est exprimée lors du colloque 2012 de la Fondation Jacques Chirac qui s'est tenu à Paris. Son constat pourrait paraître, apriori, encourageant « Nous assistons aujourd'hui à une mutation du travail qui contribue à mieux comprendre les difficultés d'insertion professionnelle et l'inquiétude grandissante sur la perte d'employabilité des travailleurs. »

Mais les lois, les obligations et les quotas suffiront-ils, à terme, dans une conjoncture chaotique, à pérenniser cet élan ?

TH : embauchés mais placardisés !

Depuis la fin des années 90, face à un taux de chômage important, la question de l'emploi est devenue prioritaire. Mais « embaucher » suffit-il ? Un « contrat » n'a en réalité d'intérêt que s'il permet d'améliorer la « qualité de vie » de l'employé. Qualité de vie ? Il devient aujourd'hui nécessaire d'appliquer cette notion, qui a longtemps été l'apanage du monde médical, à la sphère professionnelle. Mais comment la définir ? Complexe, elle suppose une approche multidimensionnelle : l'intérêt de la tâche, la qualité de l'environnement physique du travail et de l'organisation, mais également des relations professionnelles empruntes de respect, d'écoute et de considération, aussi bien de la part des collègues et de la hiérarchie. Or, à la faveur de la loi de 2005, le recrutement de travailleurs handicapés se traduit par une ambitieuse politique d'emploi mais pas forcément par l'adaptabilité des postes de travail. « En somme, les personnes handicapées sont employées mais placardisées, constate Dominique Lhuilier. Pas de responsabilité ou des actions d'une immense pauvreté qui ne font que dégrader leur qualité de vie ».

Des mutations préoccupantes

Force est de constater que la précarité s'installe, pour tous ! Dans le domaine de l'emploi, elle se traduit par une baisse des CDI au profit des CDD, par la hausse du travail intérimaire, de la flexibilité interne et du recours de plus en plus massif à la sous-traitance. Auquel s'ajoute « l'instabilité » du travail : promotion de la polyvalence, de la mobilité géographique et professionnelle, multiplication des réorganisations internes, changement à un rythme soutenu de l'encadrement... « Ces mutations font naître le « précariat », poursuit Dominique Lhuilier. Ce terme intéressant, nouveau, suppose que la précarité est inscrite dans la durée ». Un précariat qui touche particulièrement les employés les plus « atypiques »...

L'intensification du travail : sous haute pression !

L'intensification du travail se généralise également, qui se manifeste par de nombreux « symptômes » : la pression grandissante des clients, les décisions prises dans l'urgence, un défaut de moyens pour faire face à des tâches devenues plus complexes, une dilution des frontières entre le travail et la vie privée. Cette intensification n'est pas réductible à une simple augmentation des cadences, elle envahit toute la sphère intime puisque l'employé doit être joignable à tout moment, y compris durant ses loisirs (notamment par le biais des téléphones portables ou de l'Internet). Or lorsque la tâche présente devient trop intense, elle engendre une impossibilité à se préparer et à se former à celle à venir, et donc un immense stress. Une activité à flux tendu ! « C'est une situation qui affecte, par exemple, les seniors, constate Dominique Lhuilier. Ils ont parfois une réactivé réduite mais, à l'inverse, offrent une plus grande capacité que les jeunes à anticiper, et savent développer des opérations de compensation. Mais cette stratégie suppose de disposer d'une marge de manœuvre que ne permet plus la conjoncture actuelle du monde du travail. Il en va de même pour les personnes handicapées à qui il faut du temps pour construire une manière de « faire autrement ». »

L'individualisation du travail : chacun pour soi !

L'individualisation du travail est liée à cette intensification qui réduit les temps d'échange et donc d'entraide. Elle est perceptible dans l'évolution des « RH » (ressources humaines) : individualisation des temps de travail, des modes de rémunération, des parcours de formation et de carrière. En d'autres termes, les décisions se prennent « à la tête du client », source probable de discriminations. Ce type de gestion favorise l'isolement et une plus grande rivalité entre les salariés. Dans un tel contexte, la réussite professionnelle de chacun dépend de ses ressources propres au détriment du travail collectif !

La notion de travail soutenable

L'ensemble de ces mutations a un impact très fort sur les conditions de travail, et en premier lieu engendre une restriction des marges de manœuvre dont disposent les salariés pour préserver leur santé physique et mentale, et donc respecter les exigences que leur impose leur tâche. En a-t-on oublié le principe de « travail soutenable », qui se définit ainsi : « exempt de contraintes ou de nuisances susceptibles de provoquer, à terme, des pathologies durables, voire irréversibles » ? Il coexiste avec la notion « d'environnement capacitant » qui réunit les conditions qui permettent d'entretenir, tout au long de la vie, des capacités à produire mais aussi de l'autonomie et du bien être. Il n'y a pas de bien-être au travail sans « bien faire » au travail. Un emploi répétitif et qui ne contribue pas au développement personnel ne peut être considéré comme étant de qualité.

Combattants contre vulnérables ?

Dans ce contexte, on peut légitimement penser que la discrimination va continuer à affecter les personnes malades ou handicapées. Assises sur un siège éjectable ? C'est pourquoi certaines préfèrent se taire et renoncent à se déclarer en tant que travailleur handicapé (RQTH). Or, à terme, ce silence peut engendrer usure prématurée et stress... « Le danger aujourd'hui, c'est la manière dont on se saisit de la notion de vulnérabilité, conclut Dominique Lhuilier. Il y aurait d'un côté les combattants, les performants, les gens aptes et de l'autre les vulnérables qu'il conviendrait d'identifier, de diriger et d'accompagner. C'est un principe très dangereux. »

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