« La législation française a une tendance à l'eugénisme qui est un caractère de notre temps, explique Jerry Sainte-Rose, avocat général à la cour de cassation au moment de l'arrêt Perruche, en 2000. Elle interdit en principe toute pratique eugéniste, et c'est un crime puni comme tel. Mais l'eugénisme peut être le résultat collectif d'une somme de décisions individuelles prises par des parents en quête d'un enfant, si ce n'est parfait, en tout cas indemne de pathologies rares. » L'action en réparation de vie préjudiciable (l'arrêt Perruche) pour les médecins qui n'auraient pas informé ou donné un diagnostic erroné, et qui entraîne donc une indemnisation de l'enfant, peut-elle tenir lieu de politique en faveur du handicap ? Ces parents qui considéraient leur enfant comme un préjudice ont été peu nombreux. Heureusement ? Il est évident que cette nouvelle responsabilité des médecins les poussait à pratiquer des IVG au moindre doute. Cette jurisprudence fut appliquée jusqu'au 4 mars 2002 où la loi dite Kouchner substitua à ce principe d'indemnisation individuelle celui de solidarité nationale. Le cas de la trisomie appelle à la vigilance car son dépistage est de plus en plus précoce et pourrait même ne plus entrer dans le cadre de l'IMG (Interruption médicale de grossesse). Selon Jerry Sainte-Rose, « la limitation de la dérive eugénique doit passer par l'information des femmes enceintes sur la prise en charge de leur enfant une fois né. »
Pro trisomique ou anti IVG ?
Pour Jean-Marie Le Méné, président de la fondation Jérôme Lejeune, « la loi de bioéthique 2011 a rendu obligatoire pour les médecins l'information de toutes les femmes enceintes sur la trisomie 21. Les enfants trisomiques constituent-t-ils une menace grave pour la santé publique, un facteur de risque ? 250 millions d'euros sont supportés chaque année par l'Assurance maladie pour ce dépistage prénatal. Derrière, il y a des marchands qui créent la demande. L'eugénisme apparaît alors comme un choix collectif avec des politiques et des budgets, une vraie stratégie publique. 830 000 femmes enceintes à qui on fiche la trouille, entretenues dans une peur très lucrative. » Evidemment, derrière ces propos, on ne peut s'empêcher d'entendre un autre discours car si la fondation Lejeune est connue pour ses recherches médicales et les soins apportées aux personnes porteuses de trisomie 21 et d'autres maladies génétiques, elle l'est également pour son militantisme anti-avortement. Ce à quoi le docteur Nicolas Fries, président du Collège français d'échographie fœtale, répond dans une interview accordée au Parisien : « L'idée de certains députés, au nom de convictions idéologiques et religieuses, est de dire que ce n'est pas la peine d'informer une femme de 20 ans sur les risques de trisomie 21. Or, 70% des enfants trisomiques naissent de mères de moins de 38 ans, tout simplement parce que, statistiquement, il y a beaucoup plus de femmes enceintes de moins de 38 ans. »
Un choix éclairé
Ne nous trompons donc pas de débat ! Néanmoins, il reste vrai qu'en France la cabale contre la trisomie 21 est gravée dans le marbre... jusqu'à se faire parfois coton. La première à en témoigner est Maryse Laloux, la maman d'Eléonore, jeune femme trisomique : « Il y a 26 ans, je ne savais rien de cette anomalie. Juste quelques idées préconçues, majoritairement monstrueuses, sources d'angoisse et d'antipathie... Aujourd'hui, tout ce que nous lui donnons, notre fille nous le rend au centuple. Lors de l'annonce du handicap, l'élément déclencheur a été la rencontre avec les autres parents. Leur vie a valeur d'exemple. » Il parait donc légitime que les familles puissent obtenir suffisamment d'informations, pas seulement données par les médecins mais également par les associations, pour prendre une décision éclairée avant la naissance ou en vue de l'interruption de grossesse. Or les conditions actuelles de dépistage sont souvent culpabilisantes. Luc est lui-même médecin et papa d'un jeune garçon trisomique, choisi, consenti, en dépit de la sentence de ses confrères qui l'accablent face à « l'irresponsabilité » de son choix !
Informer, c'est condamner ?
« L'enfant trisomique est souvent désigné comme la cible consensuelle idéale qui porte en lui le principe du malheur et du désordre. Cela sous-entend-il que son éradication va faire notre bonheur, s'interroge le président de la Fondation Lejeune ? Un bouc émissaire sacrifié qui oscille pourtant entre un sentiment de détestation et d'admiration lorsqu'il obtient une Palme au festival de Cannes ! Ce n'est pas le signe d'une société très humaine. Nous sommes dans une impasse car informer c'est condamner (l'enfant) et informer c'est condamner (le médecin). C'est un cercle vicieux qu'il faut briser ! » Il y a pour cela plusieurs choses à mettre en œuvre...
Sensibiliser le monde médical
Faut-il inciter le milieu médical à continuer de voir la trisomie 21 comme l'ennemi public numéro 1 des femmes enceintes ? Didier Sicard, professeur de médecine et ancien président du Comité consultatif national d'éthique de 1999 à 2008, cite le cas d'une jeune femme qui, aux Etats-Unis, venait de mettre au monde un enfant trisomique. Il y était pleinement accueilli alors que ses amies françaises ont mis cet « accident » sur le compte d'une défaillance de la médecine. Le témoignage d'une sage femme va dans ce sens : elle est en mesure d'accompagner une femme qui décide de pratiquer une IMG mais pas celle qui choisit de garder son enfant trisomique. « Je suis frappé de voir que les enseignements universitaires, poursuit Didier Sicard, considèrent encore la trisomie 21 comme une faute. »
Encourager la recherche
Quant aux familles concernées, elles s'exposent au reproche d'avoir mis au monde un enfant qui « coûte cher ! » Mais n'est-ce pas le prix à payer pour que notre société garde une once d'humanité ? Argument à rapprocher des 250 millions d'euros investis chaque année dans la politique de dépistage, qui pourraient également être employés à la recherche sur la compréhension et le traitement de cette maladie, d'autant que les pistes sont de plus en plus nombreuses. C'est toute l'ambition de la Fondation Lejeune qui œuvre à la mise au point d'un traitement améliorant, puis normalisant, les fonctions intellectuelles. C'est en effet cette déficience qui constitue le principal handicap des personnes trisomiques, les empêche d'être autonomes. Leur QI moyen est de 50. A peine plus de 2,5% d'entre eux ont un quotient supérieur à 70, niveau considéré comme permettant un assez large degré d'autonomie. Un jour, dans dix ans peut être, ces capacités cognitives pourront être augmentées. Les essais en cours sur l'homme laissent augurer de grands espoirs. Il est donc important que l'Etat accompagne cette politique de recherche pour briser la spirale du tout dépistage. Pour se débarrasser non pas des personnes malades mais de la maladie !
Cet engagement est aussi une mission collective. Changer le regard en donnant davantage de visibilité aux personnes porteuses de trisomie 21 et montrer qu'elles peuvent avoir une vie heureuse en dépit de leurs difficultés. C'est toute l'ambition de l'actuelle campagne d'affichage en Ile-de-France. Son slogan : « Trisomique, et alors ? ». Est-ce aussi simple que cela ?
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Rejet sociétal du handicap mental, quel risque pour demain ?
Le dépistage de la trisomie suppose une batterie de tests. Tous sont proposés mais sans être imposés. Pourtant, dans les faits, comment y échapper ? En France, la machine à détecter a presque force de loi.