Festival d'Avignon: quand le théâtre expose le handicap

Expérience dérangeante, extrême, des metteurs en scène exposent à tous ce que le regard évite: des êtres gravement handicapés physiques et mentaux, placés au coeur de trois créations présentées au Festival d'Avignon.

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AVIGNON, 9 juil 2012 (AFP) - Expérience dérangeante, extrême, des metteurs en scène exposent à tous ce que le regard évite: des êtres gravement handicapés physiques et mentaux, placés au coeur de trois créations présentées au Festival d'Avignon.

Les acteurs de "Disabled Theater", un spectacle proposé à partir du 9 juillet par le chorégraphe Jérôme Bel, sont atteints de trisomie 21 et de retards mentaux.

Dans "Ch(ose)" et "Hic sunt leones", spectacles de la danseuse Sandrine Buring et du metteur en scène Stéphane Orly donnés à partir du 15 juillet, les artistes évoquent leur "rencontre" avec des enfants gravement polyhandicapés, privés de parole et de gestes.

"La question du regard sur le handicap est extrêmement problématique", estiment ces deux artistes. Pour Stéphane Olry, "ce sujet un peu repoussoir pose pourtant des questions prégnantes dans notre société".
Lui et Sandrine Buring ont régulièrement rendu visite, pendant deux ans, à des enfants hospitalisés à La Roche-Guyon (Val-d'Oise), dissimulés au regard pour être "protégés".

"Face à eux, moi je me trouve extrêmement démuni", confesse-t-il. "Ils sont très loin, dans une chaise roulante. Ils ne répondront jamais quand on leur parle. Aucun n'a le langage, même pas par le toucher et on ne sait pas très bien ce qu'ils voient".

Pourtant, "la rencontre" se produit. "A chaque fois, Sandrine rencontrait un enfant individuellement, c'était comme un impromptu. Il y avait le même aléa qu'avec un spectacle ou une rencontre au bal: on se trouve s'il y a le plaisir de se trouver mais il y a le risque aussi de ne pas se trouver".

"Ca déplace la pensée sur l'être humain"

Le metteur en scène a accès aux enfants par l'entremise de Sandrine Buring, qui s'adonne avec eux à une forme de danse contact. "En tant que spectateur, j'avais le sentiment de voir éclore réellement la personnalité de l'enfant", raconte-t-il.

"Chez ces enfants, le langage émotionnel existe mais fonctionne sur des modes qui ne sont pas du tout ceux auxquels on est habitué", poursuit Stéphane Olry. "Il y a quelque chose de très vivant chez eux, c'est cela qui est très, très beau".

Les deux artistes ont chacun transposé cette expérience dans un spectacle.

Dans "Ch(ose)", Sandrine Buring se glisse dans une éprouvette suspendue où sa chair nue frotte la paroi de verre, où son regard cherche l'horizon. Stéphane Orly plonge lui les spectateurs dans un brouillard épais ou ils sont cernés par des voix tantôt documentaires tantôt mystérieuses et informes.

Jérôme Bel, invité à monter son spectacle par une troupe basée à Zurich, composée de onze acteurs handicapés mentaux professionnels, a lui la certitude d'avoir produit "un acte théâtral", où chaque spectateur est confronté personnellement au handicap, dans "un rapport qui reste conflictuel, où se mêlent la gêne et la peur".

"Le spectacle essaie de pacifier cette relation", ajoute-t-il, en disant son souci d'isoler chaque personne de la troupe pour en faire "un individu".

Pour Jérôme Bel, cette expérience "hors norme" a "piétiné cinquante ans d'apprentissage du théâtre et de la danse".

"J'ai senti qu'ils étaient au-delà de ce que je voulais être, de ce que je croyais avoir atteint", dit-il. "Ce qui me sidérait c'était leur être au monde, comment ils le percevaient, bougeaient, dansaient, parlaient."
"Par rapport à la normalité, on commence à penser différemment quand on les voit, quand on les fréquente. Ca déplace la pensée sur l'être humain", assure-t-il.
ds/dab/bf - Dominique SIMON

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