Handicap.fr : Vous étiez à l'antenne en direct sur France 4, chaque soir entre 18 et 20h, avec deux champions à vos côtés ?
Patrick Montel : Oui, Joël Jeanneau, athlète handisport, champion du monde du 1500 mètres fauteuil roulant. Je ne savais pas qu'il était aussi bon, un gros bosseur, très pédagogue, notamment en termes de catégories de handicap car il y a vraiment de quoi s'y perdre. C'est un vrai cador. Et, à nos côtés, Muriel Hurtis, sprinteuse multi médaillée. Un super trio !
H.fr : Quel est le bilan de ces Mondiaux d'athlétisme handisport en termes de couverture médiatique ?
PM : Je constate qu'il y a une grande différence entre les paroles et les actes. Tout le monde prétend regarder Arte mais c'est TF1 qui affiche des records d'audience. Avec ces Mondiaux, c'est la même chose ; on veut voir du handisport mais notre direct sur France 4 a recueilli à peine plus de 100 000 téléspectateurs. Un match de foot à la même heure sur cette antenne, c'est huit fois plus !
H.fr : L'effet Londres n'était donc qu'un feu de paille ?
PM : Avant Londres, on a tiré à boulet rouge sur les chaînes de télé françaises même si France Télévisons a couvert l'évènement. Ensuite, on a pensé qu'un vrai déclic s'était opéré dans le public. Cet élan a incité notre groupe à tenter, pour la première fois, l'expérience du direct sur ces Mondiaux. Mais le succès sans précédent de ces Jeux paralympiques était, semble-t-il, surtout lié au fait qu'ils ont eu lieu en Angleterre qui s'est imposée comme une vraie nation handisport.
H.fr : Ce qui signifie qu'à Lyon les médias français ont boudé l'évènement ?
PM : Il y avait, parait-il, 300 journalistes accrédités. Mais où étaient mes confrères de la presse écrite et de la radio si prompts à donner des leçons ? Les medias français ont brillé une fois de plus par leur absence. Où étaient Le Figaro, Le Parisien, Libé ? Je suis resté dix jours sur place et les cherche encore ! Il est temps d'appliquer à soi-même les règles qu'on voudrait faire respecter... Les grands medias étrangers étaient, eux, bien plus présents : la BBC et Channel 4 ont assuré le direct tout au long de la compétition.
H.fr : Les médias ne sont pas seuls en cause. Le public n'était pas davantage devant son poste de télévision !
PM : Il est manifeste que l'opinion publique ne répond toujours pas aux attentes du handisport. 100 000 spectateurs, c'est à peu près l'audience de France 4 d'ordinaire sur cette tranche horaire alors ça n'a manifestement pas été un raz-de-marée. Forcément, je suis déçu. Ces championnats méritaient davantage ; ils étaient si beaux, si forts en sens et en émotions. Mais il ne faut pas raisonner à court terme, les grandes causes demandent du temps et de l'engagement. Ce fut, par exemple, le cas pour le foot féminin il y a quelques années. On considérait que c'était ringard mais, aujourd'hui, il a enfin percé. J'espère qu'il en sera de même pour le handisport et que France Télévisions s'accordera ce temps.
H.fr : Vous qui avez l'habitude de couvrir des évènements d'envergure, le spectacle était-il aussi palpitant que lors de championnats « valides » ?
PM : Evidemment, la même émotion et la même excellence, avec, en plus, des histoires humaines très fortes. J'ai commenté ces Mondiaux avec beaucoup d'enthousiasme. J'y ai retrouvé la fraîcheur que j'ai connue il y a vingt ans sur les compétitions valides. On peut encore profiter d'une immense proximité avec les athlètes ; ils sont là, sur le bord de la piste, on peut leur parler, ce qui est devenu totalement impossible sur des mondiaux valides. Je tenais à dire également que l'organisation était au top : des gens adorables et une grande disponibilité. Il y a vraiment eu tout au long de ce championnat quelque chose de très spécial, un climat de bienveillance, terriblement agréable et humain.
H.fr : Et vos téléspectateurs, ont-ils partagé cet enthousiasme ?
PM : J'ai eu beaucoup de retour à travers les réseaux sociaux. D'ordinaire, le taux de satisfaction sur un évènement sportif classique est d'environ 50 % ; sur ces mondiaux, c'est du 100 % ! Les téléspectateurs étaient contents, fidèles et impliqués. Ils n'ont pas cessé de m'apporter des infos sur mon compte Twitter. Bilan : zéro insulte et que des compliments !
H.fr : Y-a-t-il pour autant des choses à améliorer sur ce type de compétition handisport ?
PM : Oui, il y aurait un petit ménage à faire, notamment en limitant le nombre de catégories. Je vais être tranchant mais certaines n'ont pas vraiment de pertinence sur un plan athlétique. Un saut en longueur de 2 mètres, même si cela peut être un véritable exploit pour celui qui l'accomplit, ça a du mal à passer... Et puis, il faudrait aussi diminuer le nombre de cérémonies protocolaires : 200 au total lors de ces Mondiaux, avec remise de médailles et hymne national, contre en moyenne une quarantaine dans un évènement valide. Le dernier jour, le samedi, on en a compté seize. Dans ces circonstances, difficile de meubler et de donner à voir des prouesses sportives. Je crains que le téléspectateur n'ait décroché. Il faut vraiment que les autorités du handisport en prennent conscience !
H.fr : Quel est le moment qui vous a fait le plus vibrer ?
PM : La joie communicative de la Brésilienne Terezinha Guilhermina, une sprinteuse déjà détentrice de deux médailles d'or sur le 100 m et 200 m à Londres (catégorie T11). A Lyon, avec son guide, elle a tout raflé. Elle incarne tout ce que je viens de dire sur le handisport. Une athlète qui ne voit pas mais qui en réalité voit tout. Elle est aveugle et je n'ai portant jamais vu une telle joie de vivre.