Par Elia Vaissiere
"Le sport est essentiel dans ma vie, pour le physique, le mental. Quand on m'a expliqué que pour pouvoir courir, financer une lame de course, je devrais débourser 5 000 à 8 000 euros de ma poche, j'ai eu beaucoup de mal à comprendre", raconte Jordan Pavy, 33 ans, amputé de la jambe.
Une amputation salvatrice
Cycliste amateur de bon niveau, cet habitant du Doubs est victime en 2011 d'une méningite à méningocoque, qui endommage sérieusement sa jambe droite. Après plusieurs opérations, des greffes de peau et des années de "douleurs insupportables", il choisit l'amputation en 2019. Equipé d'une prothèse médicale, il retrouve "l'envie de faire plein de choses" : "J'étais jeune, je voulais avancer, vivre comme tout le monde. J'ai toujours adoré l'athlétisme et j'ai voulu m'y mettre sérieusement", se souvient-il.
Jusqu'à 20 000 euros pour des prothèses de sport
Mais, contrairement aux prothèses, orthèses (soutien d'un membre défaillant), ou fauteuils conçus pour la vie quotidienne, les appareillages élaborés pour le sport, aux réglages et points d'appuis spécifiques, ne sont pas remboursés par l'Assurance maladie. En fonction du type de matériel, le prix varie de quelques milliers à 20 000 euros.
Le financement, un "obstacle quasi-infranchissable"
Les associations et les orthoprothésistes, concepteurs de l'appareillage sur mesure, déplorent "l'injustice" vécue par les personnes incapables de reprendre, "faute de moyens", une activité qui favoriserait leur "équilibre" et leur "reconstruction", souligne l'Union française des orthoprothésistes (UFOP) dans un texte publié sur le site de La Tribune, co-signé par les associations Adepa, APF France handicap et Génération avant-garde. Le financement est un "obstacle quasi-infranchissable" pour la plupart d'entre eux, écrivent-ils.
Dons, cagnottes, subventions...
Les amateurs se débrouillent entre dons, cagnottes, demandes de subventions auprès de collectivités ou aides d'associations, comme Génération avant-garde, qui a finalement financé en 2022 la lame de course de Jordan Pavy. Depuis, il s'est mis au hand-fauteuil et a rejoint l'équipe de France, pour l'instant dans un fauteuil de prêt. Certaines prothèses de pied remboursées permettent "de faire un footing" d'intensité modérée ou "divers sports" (tennis, badminton...), comme activité de loisir, assure Denis Charreyre, conseiller technique à la Fédération française de handisport. A condition que la personne puisse "la porter sans douleur". L'UFOP pointe de son côté le "risque de blessures".
Des travaux repoussés
L'année dernière, le gouvernement a engagé des travaux pour améliorer les choses. La ministre chargée des Personnes handicapées, Fadila Khattabi, espérait en faire "une réalité à l'horizon début 2024". Mais les remaniements ministériels puis la dissolution "ont beaucoup freiné les discussions", soupire le président de l'UFOP, Jean-François Cantero. Il demande un remboursement de "l'ensemble des dispositifs nécessaires", qui coûterait "entre 15 à 20 millions d'euros" annuels à l'Assurance maladie, selon ses estimations.
Des directives irréalisables ?
Contacté, le ministère chargé des Personnes handicapées indique qu'une circulaire a été diffusée fin juillet pour donner une nouvelle directive aux MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées) : prendre en charge, via la Prestation de compensation du handicap (PCH), "75 % du prix des lames de course, dans la limite de 13 000 euros" par personne. "Ça ne convient pas" car ce type de demande tient du "parcours du combattant", avec des démarches administratives complexes, "des critères restrictifs", des "délais extrêmement longs, jusqu'à 18 mois" et un "reste à charge important", énumère Malika Boubekeur, conseillère "compensation/autonomie" chez APF France handicap.
Réforme du remboursement des fauteuils en stand-by
L'association et d'autres acteurs planchent aussi depuis cinq ans avec l'exécutif sur une réforme attendue de la prise en charge des fauteuils roulants, mise en pause par la dissolution, et voudrait que les fauteuils sportifs intègrent la liste des prestations remboursées (Lire : Fauteuils roulants remboursés à 100% : une (vaine) promesse?). Stéphane Brangier, délégué général de l'UFOP, assure ne pas avoir vu la circulaire ministérielle et déplore une mesure "parcellaire", ciblée sur les lames, "partie émergée de l'iceberg". Pour tous les autres appareillages, "aujourd'hui, rien n'est prévu, ajoute-t-il. On est très loin de pouvoir dire à toutes les personnes : 'vous allez pouvoir pratiquer votre sport, dans de bonnes conditions'".
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